Vente de Motorola : le repositionnement stratégique de Google

Google Moutain View

Deux semaines après avoir acheté Nest (Labs) pour 3.2 milliards de dollars, Google annonce qu’il revend Motorola Mobility à Lenovo pour la somme de 2.91 milliards.

J’ai d’abord été choqué d’apprendre cette nouvelle. D’abord parce que le virage qu’a pris la firme Motorola depuis son rachat par Google m’a plus qu’impressionné : moins de produits mais avec plus d’innovations livrés dans des formats accrocheurs. Ainsi les Moto X et Moto G m’ont littéralement fait dire : « Enfin, de la vraie compétition à Apple dans tout les sens du terme! »

Alors pourquoi Google veut maintenant se défaire d’une entreprise qu’ils ont réussi à bien transformer ?

Après réflexion, je pense qu’on peut voir plusieurs raisons ou pistes qui nous font mieux comprendre le geste du géant de l’Internet.

2011 : Google au milieu de la guerre des brevets

On peut d’abord remonter à août 2011 quand Motorola entre dans la famille Google. À cette époque, Google n’avait pas encore lancé Ice Cream Sandwich (Android 4.0). Les téléphones fonctionnaient principalement sous Android 2.3 et les premières tablettes Android tentaient de se faire une place avec Honeycomb (Android 3.x). Android connaissait déjà du succès, mais il souffrait de la comparaison avec le système d’exploitation iOS d’Apple. On peut dire qu’Android n’avait pas atteint l’âge adulte et était encore un adolescent ingrats!

À cette même époque, la guerre des brevets (patent wars) battait son plein. Ainsi, on reprochait à Google, et plus largement tous les manufacturiers qui vendaient des produits sous Android, de copier les innovations d’Apple, de Nokia ou de Microsoft. Google devait montrer à l’industrie et aux consommateurs qu’ils étaient vraiment dédiés à la plate-forme et à son système d’exploitation gratuit et ouvert.

En achetant Motorola, Google réglait alors plusieurs problèmes. Il faisait l’acquisition d’un portefeuille de brevets incroyable, plus de 17 000 au moment du rachat en incluant les brevets en cours d’obtention, et devenait un joueur à part entière dans le mobilité. Cependant, pour ne pas faire peur à ses partenaires (Samsung, HTC et Sony), Motorola ne s’est pas fondu dans Google, mais est resté une division « indépendante ».

Un nouveau Motorola avec Google

Dans un premier temps, le marché et les journalistes avaient beaucoup de doutes quant au succès de ce nouveau Motorola. Il faut dire que le fruit de ce nouveau mariage n’est né que bien plus tard, en août 2013 lors du lancement du Moto X. C’est vraiment à ce moment qu’on a pu voir l’influence directe de Google chez Motorola : une expérience Android presque pure et des innovations pertinentes et intéressantes. On peut ainsi penser au système multi-processeur pour une autonomie maximale même si l’appareil est toujours en mode écoute (prêt pour les commandes vocales), à l’utilisation de l’écran plutôt qu’une diode LED pour afficher des notifications et de nombreuses aides contextuelles comme avec le logiciel Moto Assist. C’est là que le Motorola nouveau est né!

Motorola Moto X - Active Notifications

Depuis, Motorola a très bonne presse dans les médias spécialisés. Le grand public est encore inondé par le marketing de Apple et Samsung,  mais Motorola regagne (enfin) une belle place (bien méritée) dans le petit cercle des grandes compagnies de télécommunications qui fabriquent des téléphones.

Succès d’Android et montée en puissance de l’informatique contextuelle

Mais, entre le moment où Google a acheté Motorola et aujourd’hui, il s’est passé beaucoup de choses au niveau nouvelles technologies. Ainsi, en un peu plus de deux ans, le monde des technologies a vécu une petite révolution. Le big data et l’informatique contextuelle s’imposent de plus en plus. La question n’est plus « à quelle information je veux accéder ? » mais plutôt « quelle information je veux collecter et surtout interpréter, analyser et transformer ?« .

Et quelle compagnie est leader dans ce domaine aujourd’hui ? Google. L’entreprise domine ce domaine avec des produits phares que tout le monde connais: la voiture sans chauffeur de Google et les fameuses (et controversées) lunettes connectées Google Glass.

L’autre élément important qui s’est produit est le succès incontesté de Android. Le système d’exploitation de Google a aujourd’hui presque 80% des parts de marchés et plus de 780 millions d’appareils Android se sont vendus en 2013 selon les dernier chiffres de Strategy Analytics. On voit même l’écosystème Android se développer avec de nouveaux appareils comme les consoles de jeu ou les systèmes embarqués dans les voitures par exemple.

Dans le contexte du big data, Motorola n’a plus un rôle aussi important qu’avant. Avec plus d’un milliard d’appareils Android activés aujourd’hui, donc qui utilisent et proposent les services de Google, la collecte des données en provenance de Motorola n’est qu’une goûte d’eau dans un océan. La plate-forme est maintenant mature et elle vit d’elle-même avec beaucoup de manufacturiers mais également beaucoup de diversité dans les formats, les services et les prix.

Que peut apporter de plus  Motorola à Google aujourd’hui ? Très peu dans un sens. Du point de vue de Google, Motorola est devenu un manufacturier exemplaire d’appareils Android : des innovations dans ses produits tout en respectant la simplicité qu’offrent les appareils de la gamme Nexus.

Google se repositionne stratégiquement pour mieux anticiper l’humain… et créer de la valeur pour ses publicités

On assiste actuellement à un Google en pleine transformation actuellement comme peuvent l’illustrer ses investissements massifs et récents dans la robotique (Boston Dynamics entre autre), les ordinateurs quantiques (D-Wave), l’intelligence artificielle (rachat de DeepMind), la domotique (Nest Labs) et la cartographie sociale (Waze).

Ainsi, Google souhaite se tourner résolument vers le futur et ne veut plus seulement répondre à nos questions, mais veut anticiper nos questions, nos mouvements, nos gestes, nos habitudes, nos goûts et nos achats. Cela peut ressembler à la vieille image du « big brother », l’entité omnisciente qui contrôle ou supervise nos vies.

Mais nous ne sommes pas encore totalement rendu là. Ce qui semble être le réel objectif du moment pour Google est toujours celui de capter notre attention. On pourrait résumer ainsi : « l’usager qui regarde et interagit avec nos produits et services verra nos publicités« . Il ne faut pas oublier que Google est d’abord et avant tout une agence de publicité. Les acquisitions récentes de Google ont pour but d’améliorer les services qu’elles offre à tous les internautes afin qu’ils naviguent toujours plus et plus longtemps.

Pour ceux à qui s’imaginent que Google (et les autres acteurs) ne font que nous « espionner », je leur réponds : vous croyez vraiment que ces entreprises peuvent vraiment s’intéresser à VOS données ? Un usager parmi des centaines de millions, parmi des milliards. Non, Google ne s’intéresse pas à vos données, Google s’intéresse aux données dans leur ensemble, Google s’intéresse au Big Data.

La vente de Motorola est donc tout simplement le chapitre suivant dans l’histoire de Google. Google veut transformer notre relation avec notre environnement grâce aux données et non pas grâce à vos données. Les technologies au service de l’homme… et du profit.

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Imaginons… le futur de nos journées selon Google

Au petit matin, notre maison intelligente nous réveille au moment opportun en évaluant la météo, le trafic et notre agenda de la journée. Cette maison intelligente allume l’éclairage quelques secondes avant que nous entrions dans une pièce parce qu’elle aura appris de nos habitudes de déplacements. La cafetière versera la dernière goutte de notre juste après que notre système de son aura démarré la diffusion du dernier bulletin de nouvelle ou, si c’est le weekend, de notre sélection de musique Jazz.

Lorsque nous serons sur le pas de la porte, ou quelques minutes avant si les vitres sont givrées, notre voiture démarrera avec déjà en adresse de destination le lieu de notre travail ou celui de notre prochain rendez-vous. Une fois embarqué dans la voiture, le système audio poursuivra notre écoute là où nous nous étions arrêtés dans la maison. Ou il commencera la diffusion de notre podcast préféré mais pas si notre conjoint(e) est avec nous dans la voiture car le système sait bien que lorsque vous êtes tous les deux dans la voiture, c’est de la musique que vous écoutez. Votre tablette ouvrira également votre application de nouvelles avec en première page les actualités les plus susceptibles de vous intéresser.

Arrivée à votre travail, puisque vous l’aurez permis (pour faire un peu d’argent), votre voiture sera offerte et disponible à d’autres personnes. Elle servira de taxi, au besoin, tout au long de votre journée et sera juste devant la porte quelques minutes avant la fin de votre quart de travail.

Pendant ce temps, quelques instants après que vous ayez quittez votre maison, celle-ci se met en mode veille : réduction d’éclairage, réduction du chauffage et activation du système d’alarme. Tout au long de la journée, votre maison peut démarrer la laveuse, la sécheuse ou le robot-aspirateur. Et tout ça, bien sûr, en ayant d’abord consulté la « smart grid » qui vous fournit votre électricité pour être certain de faire ces tâches au moment où le réseau est le moins chargé. Si quelqu’un s’approche du pas de votre porte, vous serez alors avisé sur vos lunettes connectées ou verres de contacts  avec réalité augmentée.

Google : développer un nouvel écosystème et y connecter les personnes

Je pourrais continuer comme cela longtemps… Tout ceci peut paraître de la science-fiction à certains, mais c’est presque là où nous en sommes déjà. Tout est là, tout ceci est théoriquement possible, il ne manque que la colle entre les morceaux – un écosystème cohérent – et c’est là que Google veut être. Google veut être ce facilitateur, ce connecteur. Ils ont tout pour y arriver.

Malheureusement pour Motorola, ils ne sont pas nécessaires à ce grand scénario. Car Google n’a que faire que votre appareil soit un Apple, un Motorola, un Samsung ou un HTC, tant que les données leur parviennent, tant qu’ils vous connectent à Internet et aux différents services.

Comme Larry Page l’a dit : Google ne délaisse pas le monde du matériel, l’entreprise ne fait que se concentrer sur le « wearable » et la domotique, ce marché où il y a encore beaucoup à faire pour que toute une industrie fleurisse!  Tiens, ça me rappelle qu’en 2010-2011, le marché du téléphone intelligent devait évoluer pour sortir d’une niche et devenir une commodité non contrôlée par un seul acteur sur le marché…