Le regard des adultes verdoie. Malgré mes efforts, rien ne les sort de leur trance. J’imagine que c’est un progrès. Plus tôt, les cadavres jonchaient les rues de la ville. D’un autre côté, un démon me nargue et se terre derrière un ancien mécanisme me bloquant le passage. Si je ne me dépêche pas, seuls les Dieux savent ce qu’il fera de mon frère. Un cercle magique apparaît. Durga, Vishnu… Donnez-moi la force de vaincre mes ennemis encore une fois.
Avec un marché en pleine expansion, l’Inde cherche à devenir l’une des plaques tournantes de l’industrie vidéoludique. Et pourtant, peu de jeux ont traité de la fascinante et riche culture du pays. Arrive en scène Nodding Head Games, un studio indépendant de 13 employés établi à Pune. Raji : An Ancient Epic est un platformer d’action-aventure et le premier jeu vidéo indien à sortir mondialement sur toutes les consoles principales. L’œuvre vidéoludique n’est pas sans rappeler les Sands of Time, Journey et, à certains égards, God of War, mais ne réussit pas à atteindre le niveau d’excellence accompli par ces derniers.
Fiche technique de Raji: An Ancient Epic
- Date de sortie : 18 Août 2020 (Switch), 15 Octobre 2020 (PC, PS4, Xbox One)
- Style : Platformer, Action-Aventure
- Classement ESRB / PEGI : ESRB E 10+ / PEGI 7+
- Développeur : Nodding Heads Games
- Éditeur : Super.com
- Langue d’exploitation : Voix anglaises seulement, sous-titres disponibles en français, italien, allemand, espagnol, coréen, portugais, russe, chinois simplifié et turque
- Disponible sur Switch, PC, PS4 et Xbox One
- Testé sur PC
- Prix lors du test : 28,99 $ CA / 24,99 €
- Site officiel
- Version numérique envoyée par l’éditeur
L’épopée (trop) classique
Raji est une jeune circassienne se donnant, en compagnie de son frère Golu, en spectacle sur la place publique lorsque l’histoire débute. Sans prévenir, des démons envahissent le monde et capturent le frangin de l’ainée. Choisie par Durga, la déesse de la guerre, notre protagoniste doit affronter les troupes de Mahabalasura, un puissant mystique malintentionné, et purger la corruption démoniaque afin de sauver sa seule famille. L’héroïne est une victime unidimensionnelle qui n’évolue que très peu dans sa quête. Elle se fait pointer dans une direction par les Dieux et est en constante réaction aux événements. En d’autres mots, Raji, malheureusement, subit au lieu d’agir.
An Ancient Epic ne pourrait pas être plus calqué sur la structure du monomythe de Campbell. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose, mais le récit souffre de l’absence d’innovation et mise beaucoup sur son contexte inhabituel. La trame narrative demeure, tout au long de l’expérience, sans surprise. À l’aide de cinématiques non interactives simulant un spectacle de marionnettes ombragées, le jeu dévoile les nouveaux obstacles qui attendent la protagoniste et les développements majeurs de l’histoire. Le jeu aurait gagné à donner le contrôle au joueur lors de ces instants puisqu’ils décrivent souvent des actions qui auraient été intéressantes à réaliser.
Vouloir sauver son frère est, somme toute, un motivateur louable, mais sans réel rapport avec l’antagoniste (ou qui que ce soit, à vrai dire), le dernier acte n’arrive pas à engager le joueur plus qu’il ne le faut. Le contexte est pourtant magnifique et mystérieux. Alors qu’on progresse dans les niveaux, Durga et Vishnu dialoguent en voix off et commentent la destinée du personnage principal, mais également les lieux visités et les mythes hindouistes liés à la destinée de Raji. C’est une élégante façon de dissimuler une narration informative sans nous forcer à entendre, trop souvent, les réflexions à voix haute de l’héroïne (qui se résument, pour la plupart du temps, à crier le nom de son frère avec beaucoup de désespoir) ou encore user d’un journal de bord pour en apprendre plus sur le monde en scène.
Malgré un potentiel intéressant, le jeu n’arrive pas à stimuler le joueur plus qu’il ne le faut narrativement. On veut en apprendre plus sur l’univers intrigant, mais avec sa très courte aventure (tout au plus 4 heures), Raji : An Ancient Epic n’étoffe pas assez ses personnages. Forcer les interactions entre ces derniers et nous donner la chance d’explorer le monde plus en profondeur auraient pu régler le problème. C’est une épopée trop mince qui n’arrive pas à motiver le joueur ou à être plus intéressante que son contexte.
Une impression de déjà-vu
À l’aide des dons offerts par les Dieux et de son passé d’acrobate, Raji enchaîne les séquences jouables entre combats, platforming léger et quelques puzzles, sans jamais les agencer. C’est un ou c’est l’autre. Résultat : Le jeu est péniblement linéaire, ne laisse place qu’à très peu d’émergences et le rythme du jeu souffre. D’autre part, An Ancient Epic est beaucoup trop facile, exception faite du dernier affrontement, et n’introduit pas assez de nouveaux éléments.
Les combats se déroulent toujours de la même façon. Raji avance dans l’environnement, un cercle magique apparaît et délimite l’arène, un groupe de démons se matérialise et le progrès ne continue que lorsque tous les ennemis sont éliminés. Impossible pour le joueur d’élaborer une stratégie préemptive ou de circonvenir une situation. On se bat toujours contre les mêmes variantes d’ennemis et, pour la majeure partie du jeu, le button mashing est suffisant à la réussite. Une fois les ennemis assez affaiblis, il est possible de les exécuter spectaculairement pour récupérer de la vie, mais avec une vitesse d’attaque sur le neutre, les adversaires n’arrivent jamais vraiment à s’imposer de façon menaçante.
L’héroïne obtient, au total, 4 armes bénies au cours de son périple. L’utilité de chacune est cependant questionnable. On commence avec la lance, mais une fois qu’on débloque le bouclier et l’épée, il est difficile de justifier un retour à la première. Les attaques peuvent être bonifiées par des dégâts électriques, flamboyants ou glaciaux en investissant des orbes sur un très basique arbre d’habiletés fonctionnant sur un principe de probabilités. Plus on investit dans un pouvoir, plus les chances de voir l’effet se produire sont grandes. Certaines habiletés sont, par contre, disponibles trop tardivement dans l’aventure pour qu’on s’en soucie. De plus, on se tanne rapidement des mécaniques de combats. Les affrontements deviennent vite une tâche répétitive et ennuyeuse, plutôt qu’un moment excitant. À noter qu’à un certain moment, l’arbre d’habiletés s’est brisé et je ne pouvais plus le naviguer adéquatement. À l’heure qu’il est, la bévue devrait avoir été corrigée.
Le platforming ne fait, malheureusement, pas meilleure figure. Raji, à l’instar du prince de Sands of Time, peut sauter, grimper, courir sur les murs et culbuter, mais la linéarité des niveaux et l’absence de dangers environnementaux n’évoquent jamais un sentiment d’accomplissement chez le joueur. Il n’y a aucun triomphe des obstacles, pas de planification de mouvements à faire. Pour être certain qu’il y avait vraiment une source de conflit, je me suis jeté volontairement dans le vide à plusieurs reprises afin de voir si c’était possible d’échouer. La réponse? Oui, à condition d’y mettre les efforts.
S’ajoutent à cela des circonstances de résolutions d’énigmes simplistes. La plupart du temps, elles se résument à tourner dans une position prédéterminée des éléments pour former une image complète. Encore une fois, pas de quoi grimper au rideau. Elles permettent au joueur d’en apprendre un peu plus sur la relation entre Raji et Golu, mais peuvent être ignorées complètement. Les puzzles inévitables, eux, sont aussi soporifiques et ne demandent que très peu d’efforts mentaux de la part du joueur.
Alternant entre des séquences de combats fastidieux, d’exploration dirigée et de résolution de problèmes peu élaborés, Raji : An Ancient Epic n’agence presque jamais ses éléments ludiques de manière intéressante. Nonobstant, il y a l’embryon de ce qui aurait pu être un bon jeu, mais la segmentation des différentes phases et l’absence d’innovation nuisent à l’expérience globale. Le gameplay est, tout simplement, insipide. On a affaire, ici, à un jeu qui recycle des composantes ludiques prémâchées et qui n’enthousiasme pas.
Voyager dans le confort de son salon
Il faut rendre à César ce qui lui revient. La direction artistique est magnifique et colorée. C’est un plaisir de découvrir ses décors, mais avec une caméra fixe, il est impossible de l’explorer à notre rythme. Il est extrêmement difficile de perdre le réflexe, maintenant anodin, de manipuler le joystick droit. C’est frustrant. La fonction aurait été utile à plusieurs reprises lors des combats et du platforming. Par contre, on comprend vite pourquoi le studio a pris cette décision… Ultimement, les environnements sont plutôt vides. En forçant une perspective, les développeurs évitent que le joueur puisse trop s’en apercevoir.
Il y a une belle échelle de grandeur mal exploitée. Certaines scènes nous permettent de voir un panorama impressionnant ou de faire face à une créature majestueuse. D’une forteresse médiévale à un temple inondé millénaire, en passant par un village à flanc de montagne au désert aride, le jeu varie sa mise en scène et sa palette de couleurs. C’est la force de Raji. L’appel du monde se fait sentir. Dommage que le design des niveaux ne reflète pas ces sublimes instants. Quelques augmentations et secrets se cachent derrière la perspective forcée de la caméra ou au bout de chemins que l’on doit rebrousser pour revenir à la quête principale. En revanche, les secrets sont tellement évidents qu’ils ne conjurent jamais la satisfaction d’avoir débusqué un mystère bien gardé. Le monde, pour résumé, est terriblement rigide. Dur de le justifier lorsqu’on présente une héroïne censée être acrobatique et bourrée de ressources.
La musique qui berce la quête met de l’avant les instruments traditionnels du pays. Somme toute, elle est réussie et soutient les thèmes mystiques du jeu. Néanmoins, comme pour le reste du jeu, il y a un élément de répétition qui devient vite lassant. Les mélodies sont en loop et ne varient que très peu. Les acteurs réussissent à offrir une performance adéquate malgré le scénario qui laisse à désirer. Le seul vrai problème provient de Raji. Elle radote incessamment les mêmes expressions avec les mêmes intonations. Si on ne le remarque pas immédiatement, la pratique devient assez évidente pour qu’on puisse pratiquement prévoir l’ordre des exclamations de la protagoniste lors des combats.
À l’aide de sa magnifique présentation, An Ancient Epic met en scène un univers somptueux. Cela dit, ni la bande sonore ni le level design n’arrive à lui rendre l’hommage qui lui est dû. Le jeu est beau, mais l’absence d’une caméra contrôlée par le joueur, pour ce genre de jeu, est, à mon avis, impardonnable en 2020 et les problèmes de répétitions se perpétuent aussi au sein de la présentation.
Verdict sur Raji: An Ancient Epic
Au final, Raji : An Ancient Epic est une autre preuve que le contenu est plus important que le contenant. En d’autres mots, le jeu ressemble plus à un prototype lustré qu’à un produit fini. Avec son combat ennuyant, son platforming décevant et sa finale abrupte, il est évident que le premier effort de Nodding Heads ne passera pas à l’histoire. Ce n’est pas, non plus, pour rien qu’en introduction je compare le jeu à des séries vieilles d’environ 15 ans. An Ancient Epic aurait pu sortir en 2005 tellement il est désuet. Les développeurs devront retourner sur les planches à dessin s’il souhaite produire une suite intéressante. Si vous voulez vraiment y jouer, je vous conseille d’attendre qu’il tombe en rabais.