Difficile de qualifier le dernier opus de Blizzard Entertainment de quelque nom que ce soit hormis un hit: 3.5 millions de copies vendues dans les premières 24 heures, 6.3 millions pendant la première semaine, 10 millions en date du premier août. Cela fait tout de même quelques centaines de millions de dollars amassés par le développeur d’Irvine – pas trop mal comme résultat, on en conviendra.
Par contre, ceux qui, comme moi, ont décidé de se lancer tête première dans le jeu dès sa sortie se sont aperçu que la brève lune de miel (une fois finie la valse des problèmes réseau des premiers jours, incluant l’impitoyable « erreur 37 ») a vite fait place à une déception de plus en plus palpable.
Quand le « role playing » devient « role paying »
C’est bien connu, Blizzard a l’habitude de dorloter ses jeux ainsi que de développer des patchs pendant plusieurs années. Or, force est de constater qu’après trois mois la majeure partie des efforts a été placée dans l’objectif de stabiliser et rentabiliser le marché d’items virtuels et de réprimer toute stratégie qui, par surcroît de puissance, viendrait à en permettre l’exploitation. S’il s’agit d’améliorations de la jouabilité que vous attendez, il faudra prendre votre mal en patience.
L’objectif avoué de Blizzard était de venir couper l’herbe sous le pied à un marché noir qui hante depuis longtemps les jeux en ligne, non pas en le réprimant, mais plutôt en l’intégrant à l’économie-même du jeu. Leur stratégie est en deux volets, d’un côté, la « Gold Auction House », qui nous permet uniquement acheter ou vendre des items avec des pièces d’or (communément trouvées en fouillant dans les entrailles des monstres ou en fracassant de la porcelaine). De l’autre, la RMAH, ou « Real-Money Auction House » où tout est transigeable en devises sonnantes. Dans les deux cas, les échanges se font strictement entre joueurs, mais Activision-Blizzard fait évidemment ponction d’un certain pourcentage.
On sent un studio à la recherche de réponses
Les échecs initiaux de Diablo 3 tiennent, selon nous, à une combinaison de facteurs : un contenu narratif et des niveaux répétitifs, un système d’équipement morne et peu friable à l’expérimentation, une parfaite interchangeabilité dans la construction des personnages et l’omniprésence de la fameuse « Auction House ». Pris isolément, aucun d’entre eux ne serait fatal mais, mis ensemble, ils débouchent sur un jeu qui tombe en désuétude beaucoup plus rapidement que l’on serait en droit de s’attendre.
Diablo 3 reprend une structure analogue à celle de Diablo 2: quatre actes se déroulant dans des contrées différentes que nous devons retraverser à travers quatre niveaux de difficulté croissante. Les trois premiers (Normal, Nightmare et Hell dans la langue de Shakespeare), bien que faisant appel à un contenu plutôt répétitif, nous permettent de voir évoluer régulièrement notre personnage et de jouer avec un nombre croissant d’habiletés qu’il est possible de réagencer librement. Le quatrième palier, Inferno, est pour sa part beaucoup plus ardu que les précédents. La progression du personnage s’arrête et seul l’équipement importe, et celui-ci suit une courbe de progression surtout verticale (basée sur les améliorations purement quantitatives) et très peu latérale (axée sur la diversité des effets et l’expérimentation).
C’est là que nous touchons au nerf du problème: l’interchangeabilité parfaite des habiletés de combat, bien qu’elle nous empêche de véritablement faire des erreurs en termes de construction de personnage, ne nous incite pas non plus à s’en créer de nouveaux – tout au moins, de la même classe. Les bonus liés à l’équipement sont purement quantitatifs, il y a donc très peu d’intérêt à expérimenter. Le jeu ne donne donc pas ni les outils, ni le goût, de s’investir intellectuellement ou émotionnellement dans son personnage. Chaque barbare ayant joué les quelques dix ou vingt heures nécessaire à l’atteinte du niveau 60 (le maximum) est, mis à part son équipement, en tout point identique à tous les autres. Il ne reste donc qu’un long et laborieux « grind » (soit une longue série d’actions répétitives en vue de faire progresser son personnage) très peu valorisant et qui n’offre pour objectif que le fait de terminer un contenu dont on a par ailleurs fait le tour au moins trois fois auparavant.
Les pièces d’équipement intéressantes et variées sont rares, et la plupart de celles que l’on trouve s’avèrent inutilisables et invendables. Les pièces d’or sont par contre omniprésentes mais valent, elles aussi, bien peu. Ce n’est qu’après en avoir accumulé quelques millions que l’on peut considérer en avoir assez pour s’acheter un objet qui nous permette de survivre quelques secondes de plus dans les tout derniers actes. Qui plus est, cette lente et laborieuse accumulation, toujours en visitant les mêmes niveaux et en tuant de façon répétitive les mêmes ennemis, doit se faire dans un contexte où l’on sait fort bien que, pour quelques dollars tout au plus, il est possible de trouver encore mieux sur la RMAH. Pas étonnant que certains opinent que Blizzard a réussi à invertir le fonctionnement de la fameuse « boîte de skinner » sur laquelle reposait en grande partie la longévité de Diablo 2 ou que d’autres vont piger dans le « Capital » de Karl Marx pour décrire l’état d’aliénation dans lequel se trouve le joueur de fin-Inferno. Pas surprenant non plus que les développeurs eux-mêmes aient récemment reconnu sur leurs propres forums que la durée de vie du jeu laissait sérieusement à désirer.
Restez un bout et… passez à autre chose
La monétisation des jeux en ligne ne devrait pas porter atteinte à la qualité des jeux. Malheureusement, dans le cas de Diablo 3, Blizzard a développé un modèle économique qui, combiné à certaines orientations controversées en termes de jouabilité, risque fort bien de frustrer beaucoup de joueurs fidèles à sa marque. Le prédécesseur de Diablo 3 était reconnu pour sa rejouabilité quasiment sans limite mais, ne vous y méprennez pas, la suite n’est pas encore du même calibre, loin s’en faut.
S’agit-il d’un acte délibéré d’obsolescence programmée implémenté par souci de ne pas venir accélérer l’exil des abonnés du très payant World of Warcraft, ou plutôt d’une malencontreuse série d’erreurs faites de bonne foi ? Peu importe, si vous n’avez toujours pas acheté le jeu, ne vous gênez pas pour aller regarder ailleurs. Et si vous souhaitez vraiment faire le saut, attendez le patch 1.0.4 (qui comprendra notamment un revampage des objets de type « légendaire ») ou fort probablement l’inévitable première expansion car le seigneur de la terreur n’a pas du tout besoin de votre carte de crédit pour l’instant.
Edit: Beaucoup d’infos ont filtré ces derniers jours concernant d’autres aspects du patch 1.0.4, et les développeurs se sont clairement gardés des munitions pour la fin! Mise en place de cent niveaux supplémentaires de type « paragon » qui vont venir conférer quelques bonus de plus aux joueurs motivés et donc prolonger substantiellement la progression des personnages. C’est définitif, 1.0.4 sera en place demain, pour l’instant vous pouvez jeter un coup d’oeil sur la liste massive de changements envisagés que celle-ci contient – Vous en pensez quoi? Ça vous donne le goût d’y retourner?