En vue de la sortie prochaine de White Night, je republie une entrevue des membres du studio, initialement parue sur GameDevourer en février 2014, et recueillie durant la Game Connection 2013. Nous y avions rencontré sur le stand d’Imaginove deux des fondateurs d’OSome Studio, le studio derrière White Night. Le jeu avait d’ailleurs été consacré meilleur projet du salon. Nous en avions donc profité pour parler du jeu, bien sûr, mais également de l’industrie du jeu vidéo en France, de la scène indépendante et des différences au niveau de la production.
GameDevourer : Dans un premier temps, pouvez vous vous présenter?
Ronan Coiffec : Pour ma part, j’ai commencé dans le jeu vidéo chez Atari avec Alone in the Dark 5 en tant que concept artist sur le survival horror. Après, je suis passé sur TestDrive, puis chez Ubisoft où j’ai travaillé sur les Lapins Crétins et enfin chez Dontnod dernièrement pour faire Remember Me. Juste après, on a monté une société avec Mathieu et Dominico.
Mathieu Fremont : Moi, en sortant de l’école, j’avais monté une société dans la distribution vidéo. Au bout d’un moment, ça n’avançait pas trop, je suis parti chez Étranges Libellules, un studio lyonnais qui travaillait avec Atari et qui a sorti Astérix XXL, Spyro the Dragon, Arthur et les Minimoys. Après, je suis parti chez Eden Game et c’est là qu’on s’est rencontré sur Alone in the Dark 5. Et puis j’ai travaillé sur Test Drive jusqu’à la fin puisque Eden Games ferme et qu’Atari capote à moitié. Et le 3ème, Dominico, a un peu le même parcours que moi. Il est passé par Étranges Libellules.
GameDevourer : C’est vrai que vous êtes 3.
Mathieu Fremont : Exactement, le core team, c’est vraiment que 3 personnes.
GameDevourer : Comment vous est venue l’idée de monter le studio ensemble et est ce que vous avez réalisé des premiers projets avant de réaliser White Night ?
Ronan Coiffec : En fait, on s’est rencontré comme disait Mathieu sur Alone in the Dark 5 et à l’époque, Mathieu et Dominico qui sont des programmeurs avaient créé par passion, à coté du travail, un moteur de jeu. Moi, je suis plus créatif, level designer. On s’est rencontré et ils avaient besoin de quelqu’un pour tester leurs outils donc on s’était déjà mis à l’époque à créer des prototypes ensemble. Et à force de prototypes, ça nous a forcément donné envie de concrétiser une des idées qu’on avait. Et on a eu l’opportunité en début d’année, de monter notre propre studio parce qu’Atari fermait et que je venais de finir Remember Me. Donc on s’est dit « Cette fois-ci, on se lance ». Donc on a choisi le prototype qu’on trouvait le plus intéressant, White Night, un Survival Horror en noir et blanc qui se passe dans un manoir. Pour nous c’était un gros clin d’oeil à Alone in the Dark 1, un jeu dont on était déjà fan et on avait bossé sur le 5. Par passion, on s’est mis à monter une société et sortir un projet un peu de nulle part.
Mathieu Fremont : C’est le premier projet de la boite, sinon on a déjà fait quelques triple A, ça fait une dizaine d’années qu’on est là dedans.
Ronan Coiffec : Il y avait aussi l’envie de changer de taille de projet. On a bossé sur des projets à 30 millions d’euros avec plus de 100 personnes. On a eu envie de se retrouver dans une plus petite équipe, faire des choses de qualité, surtout mieux maitriser une production. Donc on a beaucoup réfléchi à de nouvelles méthodes de production, on bosse beaucoup avec des indépendants, des musiciens, des designers, des animateurs qu’on embauche pour une toute petite période. Donc on est une core team, on est 3 mais on bosse avec beaucoup de talents qu’on a rencontré à travers toutes nos productions. Avec beaucoup d’expérience, on essaye d’apporter au jeu indépendant. C’est en créant une structure solide qu’on crée un projet solide.
GameDevourer : Est ce que vous avez eu de grosses surprises par rapport à la façon dont vous faisiez les jeux avant et maintenant en passant par une petite structure ? Est qu’il y a des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas vraiment ?
Ronan Coiffec : Moi la grosse surprise que j’ai eu, qui est positive, c’est qu’il y a beaucoup de choses qui vont beaucoup plus vite. Par exemple, dans une grosse structure quand tu fais quelque chose, tu dois la faire valider par ton responsable hiérarchique qui le fait valider lui aussi. Ça prend plusieurs mois parfois. Alors que là, on est tous responsables de notre cœur de métier et les choses s’enchainent très vite. Et comme on a beaucoup d’expérience et que les gens ont beaucoup de compétences, la qualité arrive rapidement et les choses se font plus vite.
Mathieu Fremont : Il y a plein de petites opportunités qui s’ouvrent et comme on n’est que 3, on se passe un coup de fil ou on se voit et on peut choisir. Par exemple, pour la motion capture, on l’a faite chez Quantic Dream, ils avaient une semaine de libre sur leur studio et en l’espace de 2-3 semaines en discutant avec eux, on a pris 2 jours et on a pu tourner dans leur studio. Alors que dans une grosse boite, une semaine avant, ça n’aurait pas été possible. Et ça c’est génial ! C’est un peu pareil avec tous les gens avec qui on travaille « Ah bah, le musicien, il peut venir, on peut peut-être aller l’enregistrer tel jour. Ou la chanteuse qui vient de Norvège est à Paris ».
Ronan Coiffec : Mais en même temps, c’est aussi ce qui est plus compliqué. Dans une grosse boite, t’as tout le monde sous la main. Tu veux un FX, tu vas voir le gars, tu veux avoir du son, tu vas voir le gars. Là on a un petit panel d’indépendants qui ont leur travail aussi. Sur des petites périodes, ils travaillent souvent sur plusieurs projets. Du coup, il faut qu’on soit rigoureux et leur commander des choses à des dates précises donc on n’a pas le droit à l’erreur. C’est plus compliqué parce que si la personne est bookée, on est dans la merde. Mais en même temps, ça nous oblige à être très mature dans notre façon de produire. On fait une liste, on la réfléchit. Pour la motion capture, avant d’aller la faire, on a écrit tout le scénario, toutes les scènes étaient déjà storyboardées. Et quand on y a été, c’était plié. On a nos motion capture, on n’en fera pas d’autres. Alors que sur Remember Me, j’ai fait 5 ou 6 séances de motion capture pendant 1 semaine à chaque fois. Si tu avais oublié de faire un truc la fois d’avant, tu pouvais la refaire.
GameDevourer: Pour parler de White Night, pouvez vous présenter le projet ? Comment en êtes vous arrivé à ce projet là, vos influences principales ? On sait que dans les influences, il y a eu Alone In The Dark et le cinéma expérimental. Mais est ce que c’était des passions ou est ce que vous avez eu un moment l’idée de mélanger ces influences pour en faire un jeu ?
Ronan Coiffec : Pour Alone In The Dark, c’était la frustration d’avoir travaillé sur le 5 mais de ne pas avoir pu faire tout ce qu’on voulait vraiment. Faire quelque chose de plus psychologique, de plus culturel, quelque chose de plus intéressant pour nous. En même temps, moi j’étais tombé amoureux d’un court métrage qui s’appelle Peur(s) du Noir de Richard McGuire qui est en noir et blanc et se passe aussi dans un manoir. J’ai trouvé le rendu tellement sympa et je me suis dit, pourquoi pas lier les mécaniques d’un survival horror comme Alone in the Dark 1 avec un tel rendu. Donc à partir de là, c’était l’idée de lier gameplay et direction artistique. On fait des recherches, on tombe sur des Hitchcock, on tombe sur des ressources culturelles très simples et qui collent. Et rapidement, l’idée c’est d’utiliser des mécaniques du survival horror classique mais avec le rendu. Par exemple, pour résoudre des puzzles, tu utilises la lumière ou des allumettes pour éclairer son chemin. C’était aussi la volonté de créer une expérience qui soit complète, pas que artistique ou que gameplay. C’est créer une expérience qui soit du son, de la musique, du jeu, de la lumière et que tout soit en symbiose, idem pour le scénario.
GameDevourer : Vous avez prévu de sortir sur Steam et de manière générale, sur PC et Mac. Est ce qu’il y a une compatibilité sur Linux de prévue ?
Mathieu Fremont : Oui. C’est un tout petit marché mais c’est un marché de fans. Ça a deux avantages. Déjà les gens qui vont l’acheter, ils vont en parler et ça c’est bien. Et il y a la Steambox. On l’avait pas prévu au début mais c’est toujours bien de se rapprocher de ça.
Ronan Coiffec : C’est aussi l’avantage d’avoir notre propre technologie que Mathieu et Domenico ont conçu. Ils maitrisent leur techno et les portages sont plus faciles.
GameDevourer : Et vis à vis de tout ça, est ce que vous avez déjà eu des contacts avec Sony, Microsoft pour sortir le jeu en indépendant soit sur la génération actuelle, soit sur les nouvelles. Est ce que c’est quelque chose qui vous intéresse?
Mathieu Fremont : Toutes les plateformes nous intéressent puisque le projet a été pensé pour PC et le pad à la fois et naturellement, tous les gros éditeurs sont intéressés par toutes les plateformes. Au début, on pensait faire une version IPad. Aujourd’hui, ce serait plutôt une version console qui serait très clairement visée et plus du PC.
Ronan Coiffec : Dans un premier temps, Steam est le plus accessible, le plus pragmatique et nous on veut sortir un jeu avec notre budget.
GameDevourer : Est ce que vous avez pensé à d’autres plateformes comme Good Old Games ou Desura?
Mathieu Fremont : On a déjà des contacts avec GOG, on leur a déjà envoyé quelques vidéos et ils nous ont dit que c’était cool et de leur faire signe. Parce qu’en fait, eux ne sont pas réellement impliqué dans la release du jeu, il faut les prévenir un mois avant, quand on est sûrs, pour organiser la sortie du jeu.
GameDevourer : Sinon vous avez un fonctionnement un peu particulier au niveau du studio. Déjà vous êtes 3 à vraiment le composer mais vous travaillez aussi avec des personnes plus issues du cinéma ou du théâtre et vous avez des méthodes particulières. Pourquoi avoir fait ces choix, qu’est ce que ça vous apporte?
Ronan Coiffec : Comme je disais tout à l’heure, on vient du milieu du AAA. On bosse là dedans depuis 10 ans. On sent un milieu fermé sur ses acquis, ses inspirations, sur sa culture et on a voulu s’ouvrir vraiment, aller chercher des références ailleurs. Aller voir ce qu’ils font au théâtre, rencontrer des gens qui bossent dans le cinéma et donc s’intéresser à leurs méthodes de production car ils sont confrontés à des budgets aussi réduits. Par exemple, les gens qui viennent du théâtre, c’est clairement des budgets réduits donc comment ils font, comment ils arrivent à créer des choses intéressantes malgré tout? Et ça nous a poussé à rencontrer des gens qui bossent dedans, à trouver des gens intéressés. Comme on voulait faire un jeu très narratif et culturel dans ses inspirations, on a trouvé des gens très intéressés. Le compositeur a tout de suite voulu bosser avec nous, d’autant plus qu’il joue du violoncelle. Dans Hitchcock, il y a Bernard Herrmann, c’était parfait pour nous donc on a rebondi très vite avec lui. Son designer, a bossé dans le jeu vidéo mais aussi sur beaucoup de court-métrages à coté et il a eu des prix à Cannes.
Mathieu Fremont : C’est le coté aussi de diviser notre budget en plein de petites prestations de plein de petits indépendants. C’est à dire que nous, on travaille avec une dizaine de personnes, pour la taille de notre projet, c’est génial. On va travailler avec une personne qui vient du théâtre peut être deux semaines mais ça nous ramène des petites influences sans avoir à se dire « Bon, on prend quelqu’un en CDI et on va le faire tout le long ». On peut se permettre de travailler avec 3 graphistes différents. Lui va être meilleur sur les persos, lui sur les objets.
Ronan Coiffec : Par exemple, la costume designer vient du théâtre et de l’opéra et est fan de jeu vidéo. Quand on lui a proposé de bosser dessus, c’était un plaisir pour elle et il se trouvait qu’elle connaissait une chanteuse d’opéra qui chantait aussi du jazz. On voulait faire une chanson un peu jazzy pour le thème du jeu. Donc on a fait rencontrer le compositeur et la chanteuse et on leur a fait écrire un thème pour le jeu.
Mathieu Fremont : Au début, on n’avait pas vraiment prévu d’avoir de chanteuse.
Ronan Coiffec : Et du coup, tout ça se fait tout seul et on baigne dans un milieu avec plus d’ouverture. C’est ce qu’on recherchait à la base du studio, souffler un peu de cet univers un peu fermé du jeu vidéo.
GameDevourer : Pourquoi avoir choisi d’utiliser votre propre moteur plutôt que de partir d’une solution déjà existante ?
Mathieu Fremont : En fait, Dominico et moi, ça fait un petit moment qu’on travaille sur ce moteur là et qu’on a au fur et à mesure adapté, à pouvoir prototyper vraiment très rapidement puisqu’on faisait des petits prototypes ensemble. Et du coup, on démarre la boite avec une techno qui a évolué pendant 5 ans, qui a déjà permis d’être validée sur pleins de types de jeu. Pour nous, c’est une manière de rentabiliser ce qu’on a fait le soir, d’apporter un gros atout à la boite et si jamais ça marche, c’est quelque chose de pas mal, ça évite de payer une licence. Donc c’était une possibilité et une envie.
Ronan Coiffec : Et à mon niveau, j’utilise les outils qu’ils conçoivent et avec notre expérience, on a vraiment pu choisir ce qu’on trouvait de mieux dans chaque moteur comme Unreal ou Unity. Parce qu’ils ont tous des défauts, tous des qualités, cela m’a permis de vraiment choisir juste la crème des outils que j’aimais bien pour les adapter et les rendre encore meilleurs. On se retrouve avec des outils parfaitement adaptés, parfaitement maitrisés et faits pour nous, pour nos projets. Je pense que c’est notre expérience qui nous permet d’avoir un moteur solide. On ne part pas de rien, c’est quand même quelque chose de très solide.
Mathieu Fremont : C’est pas un moteur qui est basé sur les performances, mais comme on a beaucoup bossé sur les AAA, c’est un moteur que par exemple, on peut donner aux gens. Le designer, on lui donne, il fait les layers de son et nous les renvoie. Pour nous c’est génial.
Ronan Coiffec : Le graphiste qui m’aide utilise le moteur chez lui, il charge les objets en noir et blanc dedans. C’est très ouvert.
Mathieu Fremont : Comme ça fait un moment qu’on prototype un peu le soir là dessus, c’est super adapté à nos façons de travailler.
GameDevourer : Ça vous donne une rapidité d’exécution que vous n’auriez pas avec un autre outil.
Ronan Coiffec : Avec un gros moteur, ça serait très compliqué à mettre en place.
GameDevourer : Est ce que vous êtes satisfait de produire en France? Y a-t-il des entreprises qui cherchent à s’exporter, notamment au Canada. L’écosystème du jeu vidéo en France vous plait-il ? Est ce qu’il s’est amélioré depuis quelques années, est ce que vous voyez une évolution ?
Mathieu Fremont : Oui pour l’écosystème des petits jeux on va dire. L’écosystème des gros studios a tendance à se dégrader, puis il y a quelques têtes qui émergent. Mais sur les petits studios, on dirait que ça reste un peu la roulette russe, par exemple au niveau des subventions. Nous on a réussi à avoir l’aide du CNC qui a représenté 2 mois de travail à plein temps pour réaliser un dossier qui soit vraiment béton. Pour avoir la session de mars et avoir de l’argent en décembre. Ça demande vraiment de se synchroniser, c’est complexe.
Ronan Coiffec : C’est complexe mais sincèrement, on s’attendait à pire parce que malgré tout, on a lancé la création de la boite, ça a pris quelques mois, on a eu les aides du CNC, aujourd’hui on est là et on présente un jeu. Finalement, on est quand même bien accompagné et on a rencontré pleins de gens. Il y a quand même un peu d’entretien à ce niveau-là, c’est ce qui permet de faire vivre ce type de projets, on est pas laissé à l’abandon.
Mathieu Fremont : C’est possible d’y arriver si on tombe bien et qu’on est bien accompagné. Il y a Imaginove qui regroupe, on a aussi essayé de monter des petites choses pour que les studios indépendants se regroupent. Parce que quelque part, juste le fait de pouvoir discuter avec quelqu’un « Ah, t’as bossé avec Namco, ils sont cools ? » c’est une valeur inestimable et on s’est rendu compte qu’à Lyon, il y a une dizaine de toutes petites boites entre 1 et 3 personnes. Mais le fait de se rencontrer, boire un verre et savoir que les autres existent, c’est une grosse force.
GameDevourer : A Montréal, il y a la Société Ludique du Mont-Royal qui regroupe les développeurs indépendants de Montréal et la région de Québec, ils organisent aussi des événements pour présenter les jeux ou des rencontres entre développeurs. Est ce qu’il y a des choses similaires du côté de Lyon ?
Ronan Coiffec : Ça commence à se voir à Lyon, il se trouve qu’il y a des grosses boites qui ont fermé donc forcément, il y a plein de petits studios. Ça reste des gens qui se connaissent, rapidement ils se retrouvent et ça crée des associations pour organiser des rencontres. Plus à Lyon qu’à Paris. À Paris, à ma connaissance, c’est plutôt les gros studio qui font des soirées. Mais à Lyon, il y a des petites choses qui se mettent en place.
Mathieu Fremont : Il n’y a pas encore d’associations. Ne serait-ce qu’un truc tout bête, il n’y aurait besoin de rien, un groupe Facebook filtré pour pas prendre trop les étudiants qui cherchent des stages, pour rester entre pro, même si pro, qu’on ait de l’expérience ou pas, pour organiser les rencontres une fois dans le mois. Et que de temps en temps, qu’il y ait d’autres personnes qui viennent. Des fois il y a des gens de Namco qui viennent, l’autre fois Frédéric Raynal, le créateur de Alone 1, un vieux de la vieille qui est autour de Lyon qui est venu. On rencontre des têtes alors qu’au début on est entre geeks du jeu vidéo à se montrer des prototypes, etc. Et puis des fois, il y a d’autres personnes qui viennent, ça augmente le réseau. Il n’y a besoin rien. Aujourd’hui, on se retrouve à une quarantaine dans le bar et peut être que ça va évoluer vers autre chose, une association. En tout cas, il n’y a pas de barrière à l’entrée. La première fois, on l’avait fait chez Domenico, on était 10. On connaissait 5-6 personnes, on leur a dit de venir avec leur tablette. Donc peut être dans 6 mois, une assoc’ ou quelque chose va se créer.
Ronan Coiffec : Puis on se donne des conseils, on sait que il y a eu des expériences qui étaient bonnes, d’autres moins bonnes. Ça nous permet de ne pas faire d’erreurs. Parce que mine de rien, on a beau avoir eu 10 ans d’expérience dans les AAA, monter une boite, faire du marketing, ça on ne sait pas faire. Donc du coup, on se retrouve confronté à de nouveaux problèmes, c’est bien de rencontrer des gens qui s’y sont confrontés aussi.
GameDevourer : Est ce que des associations vous aident? Imaginove par exemple? A Paris, on sait que l’association Capital Games aide beaucoup.
Mathieu Fremont : Il y a quelque temps, l’association Imaginove était pas hyper centrée sur le jeu vidéo, ils choisissent un peu leur cheval de bataille. Là c’est en train de changer, ils aident quand même mais c’est pas forcément leur but de regrouper les gens. Ils aident les gens individuellement.
GameDevourer : Est ce qu’il y a des gens qui aident plusieurs studios au moins pour la production et le marketing comme c’est le cas pour la productrice du jeu Fez à Toronto ?
Mathieu Fremont : Pas à ma connaissance.
Ronan Coiffec : Ça existe plus pour les compétences artistiques, le sound designer qui a bossé sur plusieurs projets par exemple. C’est l’intérêt des petits studios, des méthodes de production qu’on essaye de mettre en place. Les indépendants peuvent sauter d’un projet à l’autre et du coup, on s’accorde sur des plannings. Au niveau des prods ou marketing, on a en effet un manque. Si on avait une solution marketing commune, je pense que ça serait beaucoup plus efficace et moins cher au lieu d’avoir chacun sa solution.
GameDevourer : Quantic Dream vous a permis d’utiliser son studio de motion capture, est ce que vous sentez qu’il y a de l’entraide entre petits studios français puisque le marché est quand même assez petit comparé à d’autres pays, ou alors il y a quand même une certaine concurrence à l’intérieur ?
Ronan Coiffec : Entre les gros studios, il y a clairement de la concurrence. Je l’ai vécu, je l’ai ressenti. Tous les gros studios se piquent un peu des talents, c’est des projets qui peuvent se ressembler, avec les mêmes éditeurs. Donc forcément. Mais pour autant, c’est toujours les mêmes personnes qui bossent dans les studios. Je suis passé d’Eden à Ubi, de Ubi à Dontnod, il y a des gens de Quantic qui sont venus. Donc on reste très copains dans le milieu même si il y a des têtes pensantes. Il se trouve que pour Quantic Dream, je connaissais le mari de la dame qui bossait dans le studio de motion capture. Du coup, on a pu rentrer un peu par la petite porte, rencontrer les fondateurs qui ont plus vu qu’on était des indés donc ils ont eu cette volonté d’aider. Si on avait voulu faire nos bourrins avec un AAA, je suppose que ça n’aurait pas marché. Puis ils venaient de finir Beyond, ils avaient un creux dans leur planning de motion capture donc ça ne les dérangeait pas qu’on vienne. Par ce côté là, il y a un peu d’entraide mais c’est très léger. Faut connaitre du monde.
Mathieu Fremont : Ils se disent pas « Tiens, ce studio là, on aime bien ce qu’ils font, venez dans nos locaux« .
Ronan Coiffec : C’est vraiment plus les prestataires qui font ça. Par exemple, il y a le monsieur du recording du son qui est à Montreuil, c’est un gars qui connait très bien le sound designer qui bosse avec nous, du coup il nous a dit « J’adore votre jeu, je vous prête mon local« . Lui, il bosse avec des gros AAA, il va pas forcément gagner de l’argent avec nous mais ça lui fait plaisir de nous aider parce qu’on est amis, on boit des verres ensemble. Il nous prête son matériel, si on devait le louer, ça nous coûterait une fortune. Finalement, c’est plein de petits plans qu’on a comme ça, c’est tous nos contacts qui nous servent. Mais il n’y a rien de vraiment très concret en terme de relations entre gens du jeu vidéo et surtout les gros studios.
GameDevourer : Est ce que vous aimez le fait d’être indépendant ou est ce que vous voudriez reprendre des grands studios à terme ? D’un point de vu personnel, en dehors de l’intérêt du studio lui-même. Est ce que vous vous sentez bien dans le monde de l’indie ?
Mathieu Fremont & Ronan Coiffec : Oh oui!
Ronan Coiffec : Pour l’instant, ça nous permet de souffler, de voir autre chose, de rencontrer des gens, de faire des projets qu’on aime. Je ne vois que des points positifs.
Mathieu Fremont : Les gros studios, on en a fait plusieurs, et c’est chaque fois la même histoire. Chaque fois, les prods qui deviennent tellement grosses qu’elles sont presque ingérables.
Ronan Coiffec : Tu fais pas ce que tu voulais faire à la base, tu finis le jeu dans le rush. Tu fais un truc, il se fait défoncer par quelqu’un d’autre. C’est pas la faute de quelqu’un en particulier, mais c’est la taille l’ensemble du problème. C’est en cela que le jeu vidéo peut mûrir en France et c’est notre vision de base, c’est pour ça qu’on met en place des nouvelles méthodes de production, c’est pour faire mûrir un peu mieux ces questions là. Quand est ce qu’on peut travailler avec telle compétence ? Dans les gros studios, ils embauchent toutes les compétences d’un coup ce qui fait
qu’ils peuvent se permettre quand ils veulent de changer quelque chose. Mais au final, ça n’est pas une bonne solution parce que tu n’assumes pas de valider quelque chose, d’écrire un truc final.
Mathieu Fremont : Pour nous, c’est un peu un labo. Dans les grosses boites, si t’aime pas ce que fait ton boss, tu ne peux rien faire. Là on a les armes et on essaye de mettre en place des trucs.
GameDevourer : Vous avez aussi plus de marge de manœuvre pour tester des choses.
Ronan Coiffec : Ah oui, on a beaucoup plus de réactivité. Par exemple, chez Ubisoft, j’aimais bien faire des prototypes, des fois des choses qui n’avaient rien à voir avec ce sur quoi je bossais. On me disait « Rebosse sur le truc qu’on te disait de faire » et du coup, je faisais entre midi et deux ces petits prototypes là. Alors que là, on se met à bosser, si on a envie de tester un truc, on le fait.
Mathieu Fremont : Il y a des boites où ils font ça quand même, je sais qu’ils avaient fait ça un peu chez Square Enix à Montréal. Il y a des périodes où ils peuvent le faire, des boites qui donnent le vendredi aprem’ pour faire des proto’. Mais en France, j’ai jamais vécu ça.
Ronan Coiffec : C’est Naughty Dog aussi qui permettait ça. A chaque fin de projet, tu te mettais en binôme avec des gens et tu faisais des trucs. Uncharted 3 par exemple, c’est un assemblage de protos fait par pleins de gens et ils ont choisi les meilleurs.
GameDevourer : Chez Ubisoft, ils commencent à permettre à leurs développeurs de créer des petites productions. En ce moment notamment, un développeur d’Ubisoft Montréal est en train de développer un jeu avec une petite équipe qui s’appelle Children of Light.
Mathieu Fremont : Chez Ubi, c’est un peu différent, ils ont énormément de productions, quand ils ont des temps morts, ils font des protos en interne, ils se forment. Ils ont une sorte de magma, je trouve ça bien qu’ils le mettent à profit.
Ronan Coiffec : Oui, et nous on n’a jamais connu ça en France. J’ai connu un tout petit peu ça à Eden Games à la fin de Alone In The Dark 5, avant de commencer un nouveau jeu, on a pu prototyper des petites choses mais ça a duré très peu de temps.
GameDevourer : Pour revenir à White Night, quand sortirait le jeu? Vous parliez de mars tout à l’heure?
Ronan Coiffec : On veut le finir fin mars, après ça devrait dépendre de tout ce qui est distribution et des soumissions Steam. On ne maitrise pas encore toutes ces dates-là mais ça devrait sortir probablement au deuxième trimestre, le temps qu’on teste, qu’on fasse la localisation, etc.
GameDevourer : Et sinon, vous avez d’autres projets ?
Ronan Coiffec : Comme on disait, on a prototypé 10.000 projets, on en a des très sympas. On a même déjà réfléchi à des suites si jamais il y a quelque chose qui se passe, parce que le scénario pour les suites est déjà un peu esquissé. Et on a d’autres projets bien différents.
Mathieu Fremont : En fonction du type de jeu, on partira peut être sur une suite soit sur quelque chose de plus gros.
GameDevourer : Merci à vous de nous avoir accordé cette entrevue.
Entrevue réalisée par Tristan, Claire Desbois et Julia Buchner le 5 décembre 2013.
Site Web de OSome Studio : http://osome-studio.com/fr/