En 2010, Frictional Games a aidé à lancer la carrière (entre autres) de PewDiePie, longtemps le plus suivi des youtubeurs, avec Amnesia : The Dark Descent. Le studio suédois, après un détour dans l’angoissant univers de Soma en 2015, revient à la charge en nous offrant une toute nouvelle aventure au sein de sa série phare. Amnesia : Rebirth ne réinvente plus la roue. Nous avons maintenant l’habitude de ce genre de jeu. Il n’en demeure pas moins qu’y jouer est absolument terrifiant et toujours aussi efficace.
D’emblée, vous devez savoir une chose… Je déteste les jeux d’horreurs. Je hais leur obscurité omniprésente. Je hais me sentir impuissant face à une menace invisible. Et par-dessus tout, je hais les maudites montées de violons frénétiques qui ne servent qu’à m’angoisser. J’évite le genre comme j’évite tout IKEA les weekends. Comment se fait-il qu’on m’ait mis en charge de la rédaction de la critique alors que Jonathan est un fan, vous vous dîtes ? Il semblerait que mes collègues « n’avaient pas des ordinateurs assez puissants pour y jouer ». Ouais… J’en doute aussi. Mon expérience a été des plus désagréables. J’ai crié. J’ai mis le jeu sur pause un nombre incalculable de fois. J’ai mal dormi. Pour les meilleures des raisons.
Fiche technique d‘Amnesia: Rebirth
- Date de sortie : 20 Octobre 2020
- Style : Survival Horror
- Classement ESRB / PEGI : ESRB M 17/ PEGI 18
- Développeur : Frictional Games
- Éditeur : Frictional Games
- Langue d’exploitation : Audio en anglais seulement, sous-titres disponibles en français, allemand, espagnol, italien, portugais et russe
- Disponible sur PS4 et PC
- Testé sur PC
- Prix lors du test : 33,99$ CAD / 24,99 €
- Site officiel
- Version numérique envoyée par l’éditeur
Je me souviens…
Entrer dans les détails de la trame narrative serait un non-sens. Le jeu s’appelle Amnesia. Vous devinerez que notre protagoniste n’est pas une championne de la mnémotechnique et qu’il en revient au joueur de découvrir les événements qui l’ont menée au milieu du désert algérien. Sans en dire trop, vous incarnez une archéologue française qui tente de survivre en retrouvant les membres de son expédition suite à l’écrasement de l’avion qui les menait à destination. Naturellement, les choses ne se passeront pas comme prévu et le désert recèle de mystères et d’horreurs qui entraveront la quête de notre héroïne.
Si le jeu révèle trop rapidement certains éléments, que d’autres sont assez prévisibles et que parfois les informations débarquent en bloc, le résultat reste efficace. Les motivations de Tasi sont crédibles et évoluent au fur et à mesure que le joueur lève le voile sur la (très) glauque situation. Je saluerais, d’ailleurs, la performance de l’actrice, Alix Wilton Reagan, qui réussit à nous faire ressentir la terreur, le désespoir et les (rares) petites joies de notre protagoniste. Le jeu alterne brillamment entre d’angoissants moments de solitude et des phases où l’on aimerait justement être seule.
On regrette, par contre, que les auteurs aient choisi des avenues trop faciles pour faire avancer l’histoire. Je n’ai pas assez de doigts sur mes deux mains (intactes) pour compter le nombre de fois que le sol se dérobe sous les pieds de l’héroïne. Tout en comprenant que ces séquences non interactives servent à nous plonger dans un nouveau décor duquel on doit s’échapper, il aurait été intéressant que les développeurs mettent en scènes des alternatives plutôt que d’user constamment du même dispositif surexploité par le genre.
Être mal équipé face au danger
En ce qui a trait au gameplay, les options du joueur sont assez limitées. Exactement comme dans l’original de la série. Tasi peut courir, sauter malhabilement, s’accroupir et interagir avec la plupart des objets en les manipulant. Oubliez immédiatement la possibilité de combattre toutes menaces. Les seuls moyens de survivre et de ne pas succomber à la terreur se résument à s’enfuir et à se cacher lorsque possible.
Si dans les autres opus la santé mentale du héros était mise à rude épreuve, Frictional a opté pour une mécanique où Tasi peut succomber à la peur. Plus la protagoniste est effrayée, plus le champ de vision se réduit. Sensiblement, c’est la même chose. Être plongé dans le noir, observer des scènes macabres ou être poursuivi par une créature augmente nos chances de perdre le contrôle. Lorsque ça arrive, une séquence épileptique d’images troublantes se manifeste. On se retrouve ensuite de retour en contrôle du personnage, un peu plus loin dans l’histoire. On peut continuer à progresser, mais il semblerait qu’échouer trop souvent pourrait bloquer certaines fins possibles. C’est un changement qui est le bienvenu puisqu’échouer semble être garant d’un impact plus significatif pour le joueur.
Afin de réduire le niveau de terreur éprouvé par notre personnage, il est important pour le joueur de s’armer d’allumettes et d’huile à lampe. Les ressources sont abondantes au travers des environnements et il est très rare d’en manquer, lorsqu’on explore moindrement les pièces et qu’on bouge les objets pour révéler ce qu’ils pourraient dissimuler. Un joueur avec moindrement de discipline ne devrait donc pas rencontrer de pénurie, mais la quantité limitée pouvant être transportée contribue tout de même à créer un sentiment d’anxiété chez le joueur.
L’une des grandes faiblesses d’Amnesia : Rebirth, malheureusement, provient des comportements des grotesques créatures rencontrées. La mécanique nous permettant de nous cacher semble plus répondre à la chance qu’à la ruse du joueur. Les monstres ne semblent pas démontrer d’une réelle intelligence et se contentent de vagabonder jusqu’à ce qu’ils se trouvent à une proximité adéquate de notre personnage avant d’agir. Ça clash considérablement avec les nombreux casse-têtes que l’on rencontre et qui réussissent souvent à évoquer un sentiment de triomphe et d’intelligence. La plupart du temps, simplement s’enfuir à toute allure est suffisant pour éviter les rencontres fortuites.
Installer le malaise
Amnesia : Rebirth n’est pas un jeu où l’on gagne. C’est un jeu qu’on expérimente. Un avertissement en début de partie nous le rappelle d’ailleurs. C’est une aventure qui profite à être complétée avec des écouteurs, dans le noir. Frictional Games travaille, avec succès, d’arrache-pied à offrir un jeu où l’immersion est mise de l’avant. La noirceur est terrifiante, les sons sont inquiétants et les environnements intérieurs d’une grande crédibilité. Tout est en place pour mettre le joueur en position d’hypervigilance.
Les environnements extérieurs, par contre, manquent de détails. C’est un désert, vous me direz. Et j’en conviens ! Mais alors que les intérieurs réussissent à convier la claustrophobie, les grands espaces n’évoquent jamais l’agoraphobie. Peut-être que l’obscurité joue pour beaucoup lorsque vient le temps de cacher les défauts graphiques des architectures cloisonnées, mais il n’y a aucun doute que l’ambiance à l’intérieur est plus anxiogène. Mention spéciale au fort abandonné de la Première Guerre mondiale. Je te hais et ne veux plus jamais te revoir.
La trame sonore est subtile. Thank, God… Les violons grinçants, lorsqu’un danger est éminent, me rendaient inconfortable au plus haut point. Les moindres sons soudains m’ont fait sursauter plus d’une fois. Rien n’est rassurant. Sauf peut-être le bruit d’une porte qui se verrouille, mais même là… il y a matière à débat.
Somme toute, Frictional réussit son pari immersif en déplaçant le récit du château victorien au désert algérien. Le rythme du jeu est particulièrement bien ficelé. On passe, à l’aide des indices sonores et visuels, d’un relatif sentiment de sécurité à la terreur la plus complète en l’espace d’un instant. C’est un tour de force effectué avec brio qui réussit à garder le joueur dans le moment présent.
Verdict sur Amnesia : Rebirth
Au final, Amnesia : Rebirth ne surprend pas autant que son homologue de 2010. En revanche, il n’en demeure pas moins un excellent jeu. Le studio suédois démontre, à nouveau, toute son expertise et son perfectionnement du genre accomplis au cours de la dernière décennie. Les puzzles sont bien pensés, l’immersion réussie et la terreur ressentie bien réelle. Sur une autre note, je vous demanderais, chers lecteurs et lectrices, d’excuser la sortie tardive de cette critique d’un jeu prenant environ une dizaine d’heures à compléter. J’ai souvent eu trop peur d’y jouer.