Lors du MIGS 2013, nous avons eu le plaisir de rencontrer Pierre Chalfoun, chargé de projet Biométrie du Laboratoire recherche utilisateur chez Ubisoft Montréal. Détenteur d’un Ph. D. en informatique de l’Université de Montréal, il s’est entretenu avec nous sur le rôle de la biométrie dans les jeux vidéo.
Le Laboratoire est le fruit de la collaboration de diverses équipes d’Ubisoft Montréal qui sont bien déterminées à l’utiliser à son plein potentiel. Pour chaque marque établie par le studio, un gestionnaire de projet est mis en contact direct avec les équipes de production qui lui relaient les besoins, questionnements ou difficultés ne pouvant trouver solution que par l’utilisation de la biométrie. Lors des périodes de tests, des modérateurs observent les joueurs tandis que M. Chalfoun observe les données biométriques. Les résultats sont ensuite présentés aux chargés de projet qui en discutent en équipe afin d’en tirer des conclusions.
Mais qu’est-ce que la biométrie ? De façon générale, la biométrie est l’étude des réactions biologiques d’êtres vivants, pendant laquelle on mesure des aspects subjectifs à l’aide de données objectives. En production de jeux vidéo, ces mesures permettent de se faire une meilleure idée de l’expérience d’un joueur, tant d’un point de vue émotionnel que visuel. La biométrie a notamment été utilisée lors de l’élaboration des tutoriels dans Assassin’s Creed 3 : il s’agissait alors d’analyser comment les joueurs les utilisaient. Leurs regards et leurs ressentis ont été enregistrés, puis ces données ont été présentées aux membres de l’équipe de production. Le transfert de ces informations a eu un impact direct sur la production du jeu.
Le fonctionnement est très simple. Deux capteurs biométriques sont utilisés pour observer le suivi oculaire et l’activité électrodermale, c’est-à-dire l’activité des glandes de sudation à la surface de la peau. Un capteur oculaire (ou eye tracker) permet donc, à l’aide d’une lumière infrarouge qui rebondit sur la pupille, de suivre le regard du joueur sans être intrusif. Celui-ci détermine la position du regard du joueur mais aussi si ce dernier prend conscience des éléments que l’on affiche à l’écran de façon spontanée. Un bracelet enregistre quant à lui l’activité électrodermale du sujet. Les résultats des deux capteurs permettent de dresser le profil émotionnel et cognitif du joueur au moment du test.
Interrogé sur l’intégration éventuelle de capteurs sensoriels au cerveau, Pierre Chalfoun nous a expliqué que les périodes de test de huit heures ne permettent pas encore d’utiliser ce type de technologies. Leur utilisation augmenterait les biais en recherche alors que l’objectif premier de l’étude est de diminuer les facteurs intrusifs sur le joueur, afin de dupliquer – le mieux possible – l’expérience de salon.
Avec la démocratisation de la technologie, des outils comme Kinect 2 de Microsoft, présent actuellement sur la Xbox One, pourraient avoir un potentiel intéressant quant au suivi de l’expérience du joueur, incluant ainsi le suivi oculaire, la détection du visage et même les expressions faciales. Or, il n’est pas encore possible d’étudier, en direct, les réactions du joueur dans son salon. Selon Pierre Chalfoun, aucune possibilité n’est mise à l’écart pour le futur, mais les observations devront toujours pouvoir être converties en résultats concrets.
Nous avons également interrogé M. Chalfoun sur les capteurs de mouvement ou de sudation qui seraient intégrés aux manettes de jeux et qui pourraient avoir des conséquences sur la jouabilité ou même la scénarisation d’un jeu. Comme ces appareils ne peuvent pas définir si la réaction du joueur est positive ou non, ils ne mesurent pas la subjectivité de l’émotion. Or, l’analyse du contexte entourant le joueur est essentielle. Nous ne sommes donc pas encore à l’étape où le joueur pourrait faire évoluer un jeu de façon intelligente grâce à ces technologies, qui demeurent des prototypes pour le moment.
Plusieurs conclusions ont été obtenues suite aux études biométriques du Laboratoire. Premièrement, le joueur est imprévisible. Mais s’il fait quelque chose d’inattendu, c’est parce que le jeu n’aura pas su le guider ou bien cerner ses attentes ou ses besoins. Deuxièmement, il est nécessaire de donner aux designers ainsi qu’aux créatifs les outils nécessaires pour communiquer avec les joueurs. Pierre Chalfoun pense que les aspects biométriques seront prochainement étudiés beaucoup plus en amont qu’ils ne le sont aujourd’hui lors du processus de développement d’un jeu vidéo. L’expérience à long terme sera ainsi plus agréable, non seulement pour les équipes de production, mais aussi pour le joueur.
Ubisoft collabore depuis plusieurs années avec l’Université de Montréal et plusieurs de ses laboratoires. L’alliance d’une organisation publique avec le privé permet de concilier les objectifs de chaque parti, non sans discussions entre les différentes équipes partenaires. Selon M. Chalfoun, ce type de partenariat permet de développer des avenues technologiques de pointe qui sont bénéfiques tant pour les entreprises privées que pour les universités, sans compter les joueurs.
Si vous désirez participer au Laboratoire de recherche utilisateur d’Ubisoft, il est possible de vous inscrire sur le site Internet. Nous remercions Pierre Chalfoun de nous avoir accordé une entrevue pour la rédaction de cet article.