Le débat sur le downgrade graphique est une mascarade

Depuis l’annonce des consoles de nouvelles générations, à savoir la Playstation 4 et la Xbox One, un nouveau sujet de débat s’est greffé à ceux concernant la durée de vie et le nombre d’images pas seconde : le downgrade graphique. Au delà du fait que ces débats sont insupportables lorsqu’on les rend constitutifs de la qualité fondamentale d’un jeu, chacun se renvoie la balle, joueurs comme développeurs. Enfin développeurs, plutôt éditeurs, et services marketing. Mais qu’est-ce que ce fameux « downgrade graphique » ?

Ubisoft - Watch Dogs 5

Une stratégie de communication à double tranchants

Ce phénomène, pas si nouveau que cela, qui enflamme les réseaux, est basé sur le constat que le titre arrivant dans le commerce est quand même beaucoup moins beau que ce que l’on aurait vu dans les bandes-annonces ou les diverses présentations des éditeurs. Maintenant posons nous deux minutes pour tenter d’en comprendre les raisons.

A terme, ce sont les consommateurs qui ont le dernier mot puisque l’ire des joueurs se répand comme une traînée de poudre sur les réseau sociaux, donnant une mauvaise image du jeu et surtout de ses créateurs, ce qui peut impacter les ventes et la réputation de ses concepteurs.

A qui la faute ? Y’a-t-il vraiment un responsable ?

On peut lire ici et là « publicité mensongère », « ces gens se moquent de nous », « 70 euros pour un jeu devenu moche ». Réactions sommes toutes normales, mais totalement dénuées de recul. Certes certains titres, à l’image de The Witcher 3, Metal Gear Solid V : The Phantom PainWatch_Dogs, ou encore The Division sont moins beaux à leur sortie que sur certaines vidéos de gameplay, c’est un fait. Mais les jeux en sont-ils moins bons pour autant ? Pas forcément.

metal-gear-solid-v-the-phantom-pain

D’une part, le jeu n’est pas « moins beaux » que ce qui a été montré, il tournait simplement sur une machine de guerre, et ce rendu est possible à obtenir à condition d’avoir cette machine et de la paramétrer correctement. C’est certes excluant pour la majorité des joueurs, mais ça n’en devient pas une escroquerie pour autant. D’autre part, peut-on réellement reprocher au service marketing de demander aux développeurs une section du jeu, peaufinée au possible, afin de donner envie ?

Du point de vue des joueurs, oui, on peut, mais pas pour les raison citées au-dessus. On peut reprocher à l’industrie de ne pas être assez transparente sur la nature de ces vidéos : séquence coupée du reste du titre ou non, matériel utilisé etc. Effectivement, le joueur lambda n’aura pas ce rendu ultra haute définition, mais c’est ignorer que le jeu vidéo est avant tout une industrie. On pourrait également aller plus loin et parler de ces cinématiques mélangeant images issues du moteur du jeu et CGI rendant difficile de discerner l’un ou l’autre.

Entre démonstration et communication

Mais si on se met dans la peau de cette même industrie, la logique de montrer des jeux plus beaux qu’ils ne seront sur 95% des machines répond plus d’une logique mercantile que d’une logique vidéoludique. Il ne s’agit pas tant de montrer la qualité propre d’un jeu à venir qu’à le montrer sous son meilleur profil afin d’inciter à la précommande et donc de réussir son lancement.

N’importe quel éditeur vous le dira, les premières semaines qui suivent le lancement sont cruciales. Cependant, tout ceci est à double tranchant. Il faut donner envie avant la sortie, mais si le jeu est moins beau que montré, les premiers acheteurs vont s’empresser de le dire à qui veut bien l’entendre.

Les médias sont également complices de ce débat qui se trompe de cible. Les comparatifs entre les graphismes affichés avant et après la sortie font du clic car nombre de lecteurs n’attendent que ça. On encourage donc ce débat au travers de publication qui ne permettent pas d’aller plus loin, sauf dans le cas de Digital Foundry, qui pousse la réflexion assez loin. Ce site va faire des comparatifs mais également aller expliquer la technique utilisées, avec quelle limites.

The Witcher 3 : Wild Hunt

Un débat mal amené

Car oui, en dehors de rares exceptions, ce débat là est une mascarade. Il n’a pas lieu d’être tel qu’il est exprimé. L’objectif n’est pas de savoir qui ment, qui ne ment pas, qui accepte et qui n’accepte pas. Non, en réalité le débat intéressant qui se trouve là dessus est celui de la conception même qu’ont les joueurs de l’industrie du jeu vidéo, et la manière qu’ont les éditeurs d’aborder leur communication.

Du côté des joueurs (et j’ai parfois moi-même tendance à tomber là-dedans) on imagine encore que les éditeurs sont soit des gentils prêts à satisfaire nos besoins ludiques, soit des affreux escrocs prêts à tout pour engranger l’argent. Comme partout et dans toutes situations, aucun extrémisme n’est dans le vrai. L’éditeur, son service marketing, les développeurs ont besoin de survivre, les développements sont extrêmement coûteux, et il faut donc vendre, vendre et vendre encore.

Par conséquent, on va montrer des bouts de jeux travaillés au maximum des capacités du moteur, le fameux target rendering. Ce terme désigne ce que les éditeurs voudraient faire si tous avaient une machine de guerre. Or au cours du développement qui suit, ces derniers se rendent compte que le calcul est trop compliqué une fois tout les éléments implémentés. Ils vont aussi se rendre compte que telle option crée des bugs. Et globalement, le niveau graphique va diminuer jusqu’à obtenir un rendu permettant au jeu de tourner de façon optimale peu importe la plateforme.

Assassins Creed Unity - Arno Dorian - Drapeau francais

Pour conclure, s’arrêter à « c’était beau, c’est moche », c’est le niveau zéro de l’analyse. Pourtant dès qu’on replace les choses dans leur contexte on comprend mieux les enjeux de chacun et en plus on en apprend plus sur le fonctionnement même de l’industrie. Attention cependant ! Les joueurs sont aussi, en tant que consommateurs parfaitement en droit de se plaindre s’ils se sentent floués. Un studio qui présenterait son jeu en garantissant une qualité graphique pour ne pas l’assumer ensuite serait à blâmer. Le problème est qu’aujourd’hui, tous les gros titres subissent ce « downgrade graphique », et que globalement, presse comme joueurs ne cherchent pas à comprendre, se contentant de constater, donnant des cartouches aux fameux haters.

Les différences de rendu sont inhérents au développement même et parfois, il suffirait que les studio s’abstiennent de mettre en ligne ces target rendering, et ne montrer autre chose que du CGI qu’une fois le rendu optimal atteint. Mais les temps de développements sont devenus tellement longs que les studios ne peuvent pas se permettre de rester silencieux six mois ou un an. Par contre, il ne faut pas retirer la part de responsabilité de cette même industrie qui parfois brouille les pistes. Il faut donc que chacun fasse un pas pour une meilleure compréhension, qui sera profitable à chacun, et qui permettra d’en finir avec cette mascarade du « c’était beau avant, mais en fait c’est laid ».