Pendant assez longtemps, Activision a été la cible privilégiée des joueurs en terme de critiques acerbes. Cet Acti-bashing se concentrait essentiellement autour des Call Of Duty, dont les jeux successifs, bien que vendus par palettes, ont commencé à sérieusement se ressembler. De plus l’éditeur est l’un des pionniers en terme de DLC, recevant des insultes par wagon. Si la guerre anti-DLC semble être passée (après leur généralisation dans toute l’industrie), et qu’Activision s’est fait discret, un autre éditeur a progressivement pris sa place dans le coeur des haters. Cette entreprise c’est Ubisoft, dont on parle beaucoup en ce moment du fait de la menace que fait peser Vivendi sur l’entreprise d’Yves Guillemot. Mais pour moi, le problème d’Ubisoft se situe ailleurs : Ubisoft sait-il encore raconter une histoire ?
L’écriture comme élément constitutif de l’Ubi-Bashing
La grogne a commencé à monter au moment de la sortie de l’incompris Assassin’s Creed Revelations, qui n’avait de révélation que le nom. A cet époque de la vie de la franchise, Ubisoft venait d’annoncer que la série allait devenir annuelle. Sur le moment, peu de joueurs sont montés au créneau, jugeant de la qualité tout à fait satisfaisante des jeux jusqu’ici. De plus, Ubisoft jouit encore d’une bonne image auprès des joueurs, notamment grâce aux séries Rayman et Splinter Cell. Tout semble changer avec Assassin’s Creed III et Far Cry 3 en 2012. Alors que de nombreux êtres humains pourtant parfaitement constitués croient en la fin du monde le 21 décembre, l’éditeur français sort comme prévu ses deux titres. On passera au-dessus des considérations autour du charisme de Connor Kenway, le héros de ce nouvel Assassin’s Creed, pour se concentrer sur l’écriture de cet épisode.
L’action de cet opus se situe au 18eme siècle lors de la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Le scénario, écrit par Corey May, développe l’histoire de Connor au travers du parcours de ce héros, éduqué à l’école des Assassins pour arrêter les Templiers dirigés par son propre père. Cependant, l’écriture du personnage perturbe les joueurs, habitués au charisme et à l’héroïsme d’Ezio Auditore. Connor lui, doute, fait preuve de naïveté et semble dépassé par les événements. De plus, les finitions du titre laissent clairement à désirer avec de très nombreux bugs. Ces bugs et ces problèmes de finitions sont l’autre part de l’Ubi-bashing, mais on s’intéressera ici surtout à l’écriture.
L’ensemble laisse un goût amer aux joueurs, qui ne se sentent plus vraiment concernés par l’Histoire, celle avec un grand H.
L’univers comme outil de narration ?
Mais il ne faut pas oublier que cet aspect ce sont les joueurs qui l’ont massivement demandé. Ils estimaient que le personnage d’Ezio aurait mérité plus de profondeur. Ubisoft l’a fait, au détriment du contexte général. Par conséquent, en plus d’avoir un personnage qui ne semble pas aboutit, Assassin’s Creed III ne parvient pas à faire rentrer le joueur dans l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Et ça ne va pas aller en s’arrangeant.
Car dans le même temps Far Cry 3 a débarqué sur nos machines, délaissant l’idée même d’une histoire, pour un scénario prétexte, ce dont Ubisoft va se faire une spécialité. Terminé les jeux qui racontent quelque chose, les scénarii ne seront plus là que pour inciter à l’exploration. Il n’y a que le très charismatique Vaas pour sauver la narration du naufrage. C’est n’est pas forcément un mal, c’est un parti pris. Le problème est que cette année là, Ubisoft est dans un entre-deux. On sent bien que les développeurs ont tenté d’inclure un scénario accrocheur, mais sans jamais y parvenir.
Résultat, on se retrouve avec des jeux très ouverts, avec beaucoup de choses à voir et à faire, mais qui manquent cruellement d’âme.
On s’amuse, mais on ne sait pas exactement dans quel but ni pourquoi. C’est moins problématique pour un Far Cry qui se défini comme un bac à sable que pour un Assassin’s Creed qui prend l’Histoire elle-même comme terrain de jeu.
Lorsque sort Assassin’s Creed IV Black Flag l’année suivante, c’est la douche froide et l’incompréhension. Le scénario est indigent, mais le gameplay en mode ouvert centré sur l’exploration de la mer des Caraïbe fonctionne très bien. Mais encore plus que dans l’épisode précédent, le héros est plat, malgré le caractère « spécial pirate » que lui ont donné les scénaristes. On a d’ailleurs coutume de dire que cet Assassin’s Creed est mauvais, mais que Black Flag est très bon, signe du malaise qui commence à régner autour de la narration dans les production Ubisoft.
L’univers d’un mode ouvert peut-il à lui seul porter l’histoire ?
A mon sens, c’est dans son approche qu’Ubisoft se trompe. Déjà par l’éclatement des développements sur de multiples studio, près de 10 pour Assassin’s Creed Unity, mais surtout par la volonté de raconter quelque chose au travers du terrain de jeu. Certes Unity nous met très bien dans l’ambiance, certes les montagnes tibétaines de Far Cry 4 sont dépaysantes, mais elles ne racontent rien. Pire encore pour Unity, qui laisse une période extrêmement intéressante en toile de fond au lieu d’en exploiter les différents aspects, pour se concentrer sur une histoire d’amour mielleuse et téléphonée. Ces univers ne sont que les très beaux emballages de jeux au gameplay rodé d’une histoire écrite au coin d’une table.
Le scénario n’est plus que le fil rouge de titres de plus en plus aseptisés, semblant passer à côté d’un énorme potentiel narratif.
Et c’est un peu là tout le drame des jeux Ubisoft depuis près de trois ans : les jeux ne sont pas mauvais, loin de là. On s’y amuse, on explore, on fouille. Mais lorsqu’on cherche un peu de fond, on se heurte à une coquille vide.
L’un des meilleurs exemples de ce qu’on pointe ici est Watch_Dogs. Succès commercial, prise de risque au niveau de l’univers via cette nouvelle licence, gameplay sympathique bien que manquant un peu de profondeur. Bref, une nouvelle licence avec un premier titre prometteur. Mais si on se penche sur l’histoire, on soupire en constatant qu’une nouvelle fois, Ubisoft tape à côté. Un héros sans charisme en quête de vengeance, poursuivit par un ancien collègue trahi. Point. L’histoire que raconte les jeux vidéo tels que ceux qu’Ubisoft crée doit prendre appuis sur les mondes ouverts proposés, mais ne peut pas s’en contenter.
Sans scénario pour rendre crédible et vivant l’univers, on se retrouve face à un jeu dont on cherche le sens, et la justification de son gameplay.
Imaginez un peu si on enlevait tous les décors des attractions du Parc Astérix ou de Disneyland Paris ? Resterait des manèges toujours bons, mais sans aucun charme.
Assassin’s Creed Syndicate tente bien de réintroduire de la profondeur dans son histoire au travers de la relation entre les jumeaux, mais cette fois-ci, c’est la licence qui s’essouffle et qui est boudée par le public, incitant Ubisoft à reprendre à zéro la formule et à ne pas sortir de nouvel opus cette année. The Division quant à lui, continue sur dans la voie du jeu fun en coopération entre amis, avec un terrain de jeu superbe, mais avec un scénario pauvre. Que raconte ce New-York si bien modélisé à part « c’est le chaos à cause de cette épidémie » ? Pas grand-chose. Pire encore, les boss ont des noms très génériques ne donnant pas l’impression de se retrouver devant de véritables enjeux.
En conclusion, il semblerait que la réponse ne se situe pas dans le savoir-faire mais dans la volonté. Ubisoft a toutes les armes en main pour offrir aux joueurs des titres au gameplay et à l’univers forts, agrémentés d’un vrai scénario, profond et donnant à réfléchir, mais semble avoir délaissé cette approche. Mettre un jeu Ubisoft à côté d’un jeu Rockstar fait mal tant la différence dans l’écriture se fait sentir. Pourtant les deux font du monde ouvert. C’est ce supplément d’âme que j’espère voir dans les prochaines productions de l’éditeur. J’ai envie d’y croire, car Ubisoft peut continuer à faire grandir le média en abordant des thèmes puissants.