Ô glorieuse Hollywood, sainte machine productrice de rêves ! Quels sont les personnages qui ont pu alimenter tes rouages ? Dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, nous persistons le plus souvent à percevoir le monde du cinéma comme une énorme machinerie, tantôt bien huilée, tantôt sur le point d’imploser. Devenir critique à son égard en transportant le spectateur dans une époque où les techniques étaient différentes mais où le combat humain ne l’était pas tellement, tel est le pari des frères Coen en nous présentant Ave, César !. Que vaut cette ode narrative et personnifiée à l’univers hollywoodien des années 1950 ? Réponse !
Fiche technique
- Date de sortie : 17 février 2016 (FR), 5 février 2016 (US)
- Genre : Comédie
- Classement : Tout Public
- Réalisé par Joel et Ethan Coen
- Distributeur : Universal Pictures International France (FR), Universal Pictures (US)
Synopsis : À Hollywood, dans les années 1950. Eddie Mannix est un fixeur : les studios de cinéma l’engagent pour régler les problèmes des stars. Les studios hollywoodiens font appel à lui pour retrouver l’acteur Baird Whitlock kidnappé par des truands.
Buffet pour cinéphiles
Avant d’être une satire, Ave, César! est surtout un hommage au cinéma. Une certaine aura, une marque de fabrique, se dégage du film et tout est fait pour réellement transporter le public dans le monde du cinéma à la mise en scène brute. Bien entendu, l’histoire nous plonge au sein des studios de tournage des années 50 et nous retrouvons les décors et les costumes appropriés. Mais là où la magie opère réellement c’est lorsque les plans se déroulant hors des studios dégagent quelque chose de traditionnel, comme si la technique était perceptible. Là où tous les grands films actuels font tout pour cacher les artifices de la mise en scène et complètement immerger le spectateur, les frères Coen ont fait le choix de placer le public sur le plateau de tournage. Une décision qui pourra en rebuter plus d’un mais les amoureux du cinéma traditionnel seront ravis de presque voir la fausse pluie tomber sur le décor où de presque apercevoir le bout du bassin qui fait office d’océan. Pas de plans hors du commun, la réalisation sobre trouve toute sa magie dans la mise en avant de son réalisme. C’est tout ce paradoxe qui agit sur le public.
Atout indéniable pour l’appréciation visuelle, cette mise en scène particulière est aussi là pour servir la narration et la construction du long-métrage. En effet, l’histoire ne fait que de sauter d’un parallèle à l’autre, amenant les spectateurs sur les plateaux de tournage puis dans les films tournés avant de repartir vers l’intrigue extérieure. Alors, certes, le lissage voulu empêche de vraiment restituer le rendu des films de l’époque mais nous ne sommes jamais déconcertés tout en restant sensible à l’hommage rendu, ce qui nous permet de ne pas décrocher du fil rouge de l’histoire tout en appréciant les transitions. Le rythme profite allègrement de ce montage puisque le film nous offre des petits interludes qui réveillent aux moments opportuns. De la musique, de la danse et de l’humour nous permettent en effet de nous réveiller et de reprendre goût à l’intrigue. Parce que oui, disons-le franchement, il ne s’agit pas du film le plus dynamique qu’ont pu réaliser Joel et Ethan Coen. Si le rythme finit toujours par nous rattraper, il manque un véritable enjeu au film pour nous tenir en haleine tout le long. Le personnage de George Clooney n’est jamais vraiment dans une situation dangereuse et les décisions de vie de celui de Josh Brolin n’ont pas de résonance forte.
Une plume juste et incisive
Mais alors, outre sa mise en scène, où se situe la force du film ? Comme pour la plupart de leurs films, les frères Coen nous prouvent encore une fois que c’est l’écriture des scènes et des personnages qu’ils maîtrisent le mieux. Si l’intrigue générale ne nous transporte pas, chaque scénario sous-jacent est un pur régal pour l’esprit et les zygomatiques. L’ennui serait presque palpable par moment mais des efforts sont faits pour relever le niveau. On retrouve tout au long de l’oeuvre une volonté à vouloir hisser des clichés sur un piédestal, mais aussi des dialogues qui piquent au vif et des scènes d’un humour tellement humain que les réactions sont incontrôlables. Les personnages sont très nombreux et si les acteurs remplissent à merveille leurs rôles, c’est surtout vers leur intervention qu’il faut se tourner puisqu’il y a une sorte de va-et-vient permanent d’une grande partie du casting. Que ce soit pour rendre hommage à différents métiers (disparus ou non) du cinéma ou pour aérer le récit, la galerie d’acteurs ayant une ligne de dialogue ou une apparition plus importante qu’un simple figurant est impressionnante.
Néanmoins, il faut s’attarder sur le traitement de trois personnages en particulier qui, pour moi, font réellement vivre le film. Tout d’abord celui d’Eddie Mannix (Josh Brolin), ce fixeur qui doit tout arranger pour tout le monde mais surtout pour la viabilité du studio. Plus l’intrigue avance et plus nous comprenons que derrière ce gros dur qui règle les problèmes des autres se cache en réalité un simple mari qui ne sait même pas gérer sa propre vie personnelle. Ce sera néanmoins au spectateur de lire entre les lignes pour s’attacher réellement au personnage tant la partie sur sa vie personnelle est en retrait mais, la justesse de Josh Brolin est un avantage indéniable à la compréhension du personnage. Cela étant dit, les deux personnages les plus touchants restent Baird Whitlock (George Clooney) et Hobie Doyle (Alden Ehrenreich). Le premier car on termine par prendre en pitié son esprit malléable et sa non connaissance du monde réel en tant que grande star hollywoodienne alors que l’interprétation de George Clooney est toujours aussi fine et expressive. Le second est un peu la révélation du film, que ce soit dans l’écriture de ses scènes ou dans l’interprétation qui en est faite par Alden Ehrenreich. Ce « lonely cowboy » qui se retrouve à devoir devenir acteur sans trop savoir pourquoi et dont la bonne volonté enfantine est à toute épreuve est réellement la petite cerise sur le gâteau qui donne de la fraîcheur au film. Ne vous attendez pas trop à pouvoir vous délecter de Scarlett Johansson ou de Channing Tatum puisque leurs personnages font, au final, très peu d’apparitions.
Conclusion
Loin d’être la satire d’Hollywood tant décrite, Ave, César ! relève plus de l’hommage au monde du cinéma en général. L’intrigue est l’occasion de décrier toute en subtilité les rouages du capitalisme qui ronge les fondations des grands studios encore aujourd’hui mais ce n’est pas du tout là qu’il faut attendre le film. D’ailleurs, si cette intrigue est assez plate, la plume des frères Coen est toujours aussi subtile et efficace en ce qui concerne le déroulement des scènes et l’attachement aux personnages. De plus, la plupart des cinéphiles pourront profiter d’une mise en scène au plus proche des plateaux qui sert l’intrigue à tous les niveaux. Certainement pas le plus grand film de Joel et Ethan Coen mais dont il ne faudrait quand même pas se priver, ne serait-ce que pour profiter de leur cri du cœur et de l’humour si finement employé.