En 2008, Silicon Sisters Interactive, la toute première compagnie canadienne de jeu vidéo détenue et dirigée entièrement par des femmes, a tenté, infructueusement, d’obtenir le contrat pour la création d’un jeu mobile avec la marque Kim Kardashian. Malheureusement pour elle, le contrat s’est finalement vu remettre entre les mains de l’éditeur Glu Mobile qui créa Kim Kardashian: Hollywood, un jeu qui a connu un franc succès commercial. En effet, moins d’un an après sa distribution, les revenus du jeu s’élevaient déjà à plus de 125 millions de dollars.
Après avoir analysé cet échec, Brenda Gershkovitch, CEO de Silicon Sisters partage fièrement, lors d’une conférence dans le cadre du MIGS 2015, les apprentissages et les leçons qu’elle a tirées de cette histoire.
Quelles sont les fantaisies des filles?
On dit que les jeux vidéo répondent aux fantasies des joueurs: quand on parle de marquer un but gagnant, de faire exploser le speedomètre d’une voiture coûteuse ou encore de devenir un héros de guerre acclamé, des exemples nous viennent instantanément. Pourtant Brenda Gershkovitch affirme ne pas s’y reconnaître et ajoute avec conviction que d’après ses recherches, plusieurs adolescentes ne s’y reconnaîtraient pas non plus.
Mais quels sont donc alors les jeux qui répondent aux fantaisies de ces jeunes filles? C’est par cette douce question suivie d’un long silence dans la salle qu’a débuté la conférence. Curieusement, la conférencière a l’habitude de ce silence, elle affirme le préférer à cette réponse facile qu’elle reçoit parfois lors de certaines rencontres professionnelles: « les femmes ne jouent pas aux jeux vidéo, donc inutile de même y penser».
Force est de constater qu’il existe peu de jeux de bonne qualité destinées à cette clientèle, mais cela ne veut pas dire que cette clientèle n’existe pas.
C’est en se basant sur cette conviction que Silicone Sisters a développé le jeu School26, dans lequel les secrets et confidences font office de monnaie et Everlove: Rose, un jeu où l’emphase est mise sur des histoires de drames et de romances. Le jeu est axé sur l’intelligence émotionnelle du joueur (ou plutôt de la joueuse) et sur la beauté des environnements offerts, critère qui, selon leurs recherches, aurait un impact direct sur la rétention des filles qui entament leurs premiers contacts avec un jeu vidéo.
Kim Kardashian: Hollywood, le jeu
« Avant d’être connue, tu étais nouvelle à Hollywood » : c’est avec cette introduction que commence le jeu Kim Kardashian: Hollywood. Il s’agit de la phrase-clé qui manquait à Sillicone Sister et qui a servi de base à Glu Mobile pour poser un monde qui allait répondre aux fantaisies de millions de jeunes filles. En ne partant de presque rien, quitter le confort de sa petite ville natale pour s’installer à Hollywood et devenir un jour célèbre.
Dans ce jeu, Kim Kardashian rencontre le joueur, par hasard et en guise de récompense pour son aide, lui offre une opportunité qui lui permettra de se faire connaître à Hollywood.
Un contenu pas forcément adapté aux plus jeunes
Après avoir détaillé un peu plus le jeu, Brenda Gershkovitch prend un certain de recul pour souligner quelques problèmes qui concernent les sujets traités, qui ont d’ailleurs suscité la colère de plusieurs parents : l’alcool est très présent tout au long de l’expérience, dans les soirées et les cocktails, mais arrive également un moment étrange où le joueur se fait proposer un « shooting » en tant que modèle nu.
Elle rappelle ainsi le défi auquel sont confrontés les producteurs de jeux vidéo, mais aussi les producteurs d’émissions télévisées pour adolescents : aborder des sujets comme le «sexy», ou de façon plus générale, la sexualité soulève rapidement la controverse, mais d’un autre côté, ils sont parfois des éléments essentiels à la sensibilisation ou à la crédibilité d’un univers. Si des émissions de télévision comme Glee et Degrassi réussissent bien le pari, ce n’est pas donné à tous et dans l’univers du jeu, en particulier à cause de la rareté de jeux de ce genre, le défi semble plus difficile.
Elle concède que ce jeu mobile est loin d’être une recommandation en matière de lutte contre les stéréotypes de la femme objet, mais elle reste toutefois persuadée qu’il peut être considéré comme une contribution notable pour contrer cette idée que les jeunes adolescentes ne jouent pas à des jeux vidéo et que, par conséquent, elles ne valent pas la peine que l’on investisse dans la production de contenu pour elles.
En résumé, au-delà de ses quelques faux pas, le principal apport d’un jeu comme Kim Kardashian: Hollywood réside dans le fait qu’il permet à la fois d’initier les jeunes filles aux jeux vidéo, d’ajouter de la diversité au contenu actuellement offert et de prouver aux investisseurs que la demande existe.
Elle conclut en affirmant que les développeurs devront cependant y voir plus qu’un marché et faire preuve d’empathie et d’éthique pour arriver à créer des univers crédibles qui répondront aux fantaisies de cette clientèle. C’est, selon elle, seulement à ce moment là qu’ils pourront espérer avoir en main le prochain jeu à grand succès pour adolescente.