Une campagne présidentielle américaine sur le web sous le signe du tracking

Mitt Romney / Barack Obama 2012

Les campagnes présidentielles sont souvent l’occasion d’innover et de déployer de nouveaux outils en matières de communication. Ceci est vrai dans tous les pays mais plus particulièrement aux États-Unis qui nous ont habitué à une utilisation importante de la communication et des nouvelles tendances. On se rappelle ainsi de l’importance des médias sociaux dans la dernière campagne et de son utilisation par Barack Obama et son équipe dans un dispositif de communication intégré.

Cette année, comme le souligne le Financial Times dans son article Tracking technology catches US voters dont je reprends une partie du contenu ici, l’accent est mis sur les technologies pour suivre les électeurs sur Internet même si les américains ne sont pas à l’aise avec cette pratique. Ainsi, tout indique que Barack Obama et Mitt Romney ont déployé un nombre important d’outils de tracking sur leurs sites Web ce qui permet ainsi par exemple de créer des profils sur leurs habitudes de navigation et de les cibler avec des publicités personnalisées lors de leur visite d’autres sites.

Sites de campagne des candidats : plus de tracking que sur des sites de e-commerce

Ghostery, outil de navigation d’Evidon qui fournit des rapports sur la collecte de données, a ainsi relevé qu’entre mai et août le site de Barack Obama a hébergé 160 technologies uniques de tracking. Le site de Mitt Romney comptait 110 technologies uniques de tracking durant la même période. Au cours du mois de septembre 76 programmes différents de tracking sur le site de Barack Obama, 53 en mai, soit deux fois plus que sur le site de Best Buy par exemple. Le site de Mitt Romney en comptait 40 en septembre à comparer aux 25 trouvés en mai.

Obama-Romney-Websites-2012

« Les campagnes présidentielles doivent creuser plus en profondeur, ou tout au moins jeter un filet plus large, qu’un site classique. Avec ce type de campagne de publicité agressive qui s’étendent sur une période de temps relativement courte, les deux camps ne veulent pas laisser de pierre non retournée » explique Andy Kahl, directeur des produits grand public chez Evidon (Ghostery), au New york Times. « La hausse du profilage et du ciblage anonymes de la part des deux candidats pourrait illustrer ce que les commerçants en ligne savent depuis des années – que le reciblage des consommateurs en ligne fonctionne lorsqu’il est bien effectué. Les sociétés avec lesquelles travaillent les deux campagnes, pour leur collecte de données et leur ciblage, sont parmi les plus respectées de notre écosystème, et il semble qu’elles s’y prennent de la bonne façon. Il sera intéressant à la fin de connaître leur avis sur l’efficacité observée de cette stratégie » ajoute Scott Meyer, fondateur et PDG d’Evidon dans un communiqué de l’entreprise.

Les équipes des deux candidats utilisent également les courriels ciblés, mais la campagne d’Obama semble être la plus avancée en matière de technologie de ciblage de personnalisation, selon une analyse réalisée par StrongMail, spécialisé dans le marketing par courriel. Le New York Times rapporte ainsi qu’Amanda Orr, un électeur basé à Washington, a reçu un courriel de la campagne d’Obama mentionnant les noms de trois amis Facebook qui vivent en Caroline du Nord, la pressant de les inviter à voter pour le candidat.

Une méconnaissance et une méfiance du grand public

Un peu plus de la moitié des adultes susceptibles de voter en Novembre n’étaient pas au courant que les campagnes politiques se servaient technologies de tracking selon un sondage réalisé en Septembre par le cabinet de recherche Toluna. 60% des personnes interrogées ont dit qu’elles n’étaient pas à l’aise avec cette pratique.

Des questions sur l’utilisation des données par des tiers

Mais certains se posent la question de l’utilisation de ces données par d’autres services. En effet, les campagnes démocrates et républicaines utilisent des compagnies tierces de suivi qui travaillent également pour des clients commerciaux qui pourraient réutiliser l’information. « Les réseaux de publicité ne sont pas seulement intéressés par de l’affiliation politique pendant la campagne présidentielle »explique Andy Kahl.

Sur les sites des deux candidats il faut lire la section poltiques de confidentialité pour trouver mention de cette pratique de tracking. On précise d’ailleurs dans les deux camps que cette collecte de donnée est « anonyme » car les compagnies tierces utilisent des code chiffrés et pas les noms réels pour faire le « tracking » des visiteurs sur le site.

« Nous sommes déterminés à faire en sorte que tous nos efforts de sensibilisation des électeurs sont régis par les plus hautes normes éthiques » explique Ryan Williams, un porte-parole de campagne de Mitt Romney avant d’ajouter « respecter la vie privée de tous les Américains ». Même message pour Adam Fetcher, un porte-parole de la campagne de Barack Obama : « Nous nous engageons à protéger la vie privée et avons des garanties solides pour protéger les renseignements personnels. Nous ne fournissons aucun renseignement personnel à des entités extérieures, et nous stipulent que les partenaires tiers ne peuvent pas utiliser les données recueillies sur le site à d’autres fins. »

« Au lieu de gérer les sites Web de leur campagne comme s’ils étaient des sites de contenu traditionnels, les deux campagnes les gèrent à la manière de sites de commerce en ligne sophistiqués », a déclaré Andy Kahl, directeur des produits grand public chez Evidon. « Les deux campagnes doivent réaliser qu’il est essentiel qu’elles soient à un niveau supérieur à leurs partenaires technologiques apparaissant sur leur site et qu’elles s’assurent qu’il est bien clair quant à ce que ces partenaires peuvent et ne peuvent pas faire avec les données ».

Cependant les garanties des deux candidats ne suffisent pas et Jonathan Mayer, étudiant diplômé en informatique et en droit à l’Université de Stanford, vient ainsi de publier sur son blog un article intitulé Presidential Identifying Information qui explique que les deux sites ont un certains nombres de fuites et livrent ainsi un certain nombre d’informations personnelles sur les visiteurs aux outils de tracking des compagnies tierces opérant sur leurs pages.

« Les sites de campagne permettent-ils d’identifier leurs partisans à des outils tiers? Sont-ils directement une atteinte aux propriétés d’anonymat qu’ils sont si prompts à invoquer?«  demande Jonathan Mayer dans son article. « Oui, ils le sont.« 

« Je pense que pour les deux campagnes cette fuite a lieu probablement tout à fait par inadvertance » explique-t-il dans un entretien téléphonique au New York Times. « Mais expliquer que ce suivi des données se fait de manière anonyme est tout simplement ignorer la réalité. »

Un débat nécessaire sur la question de la vie privée sur Internet

«Nous devons, en tant que société, avoir un débat sur les limites que nous voulons placer autour de la communication politique et le data mining », a déclaré Joseph Turow, professeur à l’Annenberg School for Communication de l’Université de Pennsylvanie.

De ce point de vue, il y a une vraie bataille d’idée entre ceux qui estiment que la vie privée a totalement changé avec Internet et ceux qui pensent que cela n’empêche en rien de la protéger. Cela devrait être intéressant de voir de quelle manière les règles vont changer dans les années à venir tant pour la communication des entreprises que pour la communication politique. En effet, de plus en plus de régulateurs et législateurs se disent préoccupés par la confidentialité numérique.

L’article du Financial Times termine ainsi en rappelant que en février dernier, l’administration Obama avait dévoilé le « Consumer Privacy Bill of Rights » afin de fournir plus de protections pour les consommateurs et s’était engagée avec le Congrès pour élaborer des lois sur la protection de la vie privée plus robuste.

« Les consommateurs américains ne peuvent pas attendre plus longtemps pour des règles claires leur assurant que leurs informations personnelles en ligne sont en sécurité », avait alors déclaré Barack Obama dans un communiqué. « Alors que l’Internet évolue, la confiance des consommateurs est essentielle pour que la croissance de l’économie numérique continue. C’est pourquoi un projet de loi sur le droit de vie privée en ligne est si important. « 

Sources : Financial Times – Tracking technology catches US voters / New York Times – Tracking Voters’ Clicks Online to Try to Sway Them / Bits (New York Times) – Romney and Obama Campaigns Leaking Web Site Visitor Data / Web policy – Presidential Identifying Information / Communiqué Evidon (Ghostery)