[Note des éditeurs : pour avoir un deuxième avis, rendez-vous dans la partie commentaire où David Poulain nous partage également sa critique de Watch Dogs]
Quand il a été révélé en mode « one more thing » à l’E3 2012 par Ubisoft, avouons-le, nous étions tous devant notre ordinateur, et moi le premier, avec la mâchoire décrochée par ce qui s’annonçait comme l’avenir graphique du jeu vidéo : des animations superbes, une foule de détails graphiques, du hacking super classe et la promesse d’un open world magnifique. Watch Dogs devient le symbole de ce que pourra offrir la nouvelle génération de console aux joueurs : pas de révolution mais un bel affinage graphique. Tout le monde s’attend donc à une belle claque à la sortie du jeu.
Seulement voilà, depuis ce dévoilement mémorable, l’absence de démo pendant de longs mois, un développement chaotique et de nombreux reports ont lentement mais surement érodé mon enthousiasme. Cette magnifique vidéo de l’E3 2012 n’était-elle que de la poudre aux yeux? Le jeu sera-t-il aussi marketé et survendu que l’avait été Assassin’s Creed 3 en son temps ? L’univers du hacking sera-t-il bien rendu, sans caricatures, sachant que l’écriture n’est plus le fort d’Ubisoft depuis quelques temps ?
Bref, c’est avec autant d’impatience que d’inquiétudes que j’insère mon jeu dans ma PlayStation 4.
Une déception graphique indéniable au premier abord
Plus que sur l’open world, le gameplay ou l’écriture, c’est vraiment sur l’aspect graphique qu’on attendait Watch Dogs au tournant. Et là, on ne peut qu’être déçu. Attention, le jeu n’est pas laid, loin de là. Il est simplement dans la norme, ni plus ni moins. Les animations sont sympathiques (le vent dans le manteau d’Aiden, etc.), mais pas toujours complètes (les animations de chutes sont par exemple inexistantes…). Les textures sont assez inconstantes, et si on arrive, la plupart du temps, à avoir des rendus honorables, dès qu’on regarde un peu à l’horizon, on tombe sur les textures assez immondes des immeubles qui vous pourrissent la vue. Cette ambivalence est également valable pour les différents effets : la superbe lumière dans les arbres ou les belles explosions électriques des transformateurs viennent compenser des collisions de véhicules d’un autre âge (la palme revenant aux motos). Certains éléments sortent quand même du lot comme l’eau, vraiment magnifique et bien animée, et les éclairages. Globalement, le jeu s’en tire beaucoup mieux la nuit d’ailleurs.
Ma première impression est donc assez mauvaise, surtout quand on compare ce qu’on a devant les yeux à la vidéo sortie en 2012. On sait tous que ces vidéos tournent sur des PC de la NASA, sont tournées à l’avantage du jeu, et que ça fait partie du jeu de la communication. Il n’empêche que ce genre de pratique peut être assimilée ni plus ni moins à de la publicité mensongère. Il est tout de même assez scandaleux que le rendu graphique final soit aussi éloigné d’une vidéo dévoilée il y a deux ans!
Le plus troublant dans l’affaire, c’est que ces graphismes ne tiennent pas la comparaison avec un GTA V, certes impressionnant, mais sorti il y a neuf mois sur la génération de console précédente. Il faut bien entendu remettre les choses dans leur contexte. GTA V est l’aboutissement de nombreuses années d’expérience de Rockstar dans l’open world, et d’un budget de production inégalé. Néanmoins, l’open world d’Ubisoft n’est clairement pas la claque visuelle qu’on attendait. Il serait cependant réducteur de s’arrêter à ça.
Une ville très classique mais vivante et avec un vrai charme
Qui dit open world dit gigantesque terrain de jeu, que ce soit une ville d’un GTA V ou plus simplement la nature sauvage d’un Skyrim ou d’un Red Dead Redemption. Des open worlds, on commence à en avoir à la pelle. Il est désormais important que l’environnement ait une âme propre, une ambiance, bref une identité qui la démarque de la concurrence. On se rappelle tous des montagnes enneigées de Skyrim, des plaines désertiques de Red Dead Redemption ou encore Los Santos de GTA. Nous rappellerons-nous du Chicago de Watch Dogs? Encore une fois, je suis partagé entre le classicisme de la ville et le plaisir que j’ai pris à l’arpenter.
L’aire de jeu est assez grande sans rivaliser avec ce qui se fait de mieux. Néanmoins, c’est suffisant pour s’amuser et on retrouve la structuration désormais assez classique des open worlds centrés sur les villes américaines : downtown et ses buildings, le quartier résidentiel et ses communautés fermées, le quartier industriel avec ses usines rouillées, et le parc et sa verdure salutaire dans un monde bétonné. Au final, Chicago est très classique et ne sort pas vraiment du lot. Ces décors, vous les avez déjà vus, vous n’aurez aucune réelle surprise. J’ai également trouvé qu’il y avait finalement assez peu de gens dans les rues, qu’on croisait peu de voitures, tout ça pour une ville de plusieurs millions d’habitants. C’est bien sûr assez relatif, ne vous attendez pas à trouver les rues désertes, ce n’est pas le cas. Je pense seulement qu’on aurait gagné à avoir une densité de population plus élevée.
Et en même temps, cela ne veut pas dire que l’ensemble n’est pas vivant et qu’il n’a pas une véritable âme. Si Chicago est très classique, et qu’elle pourrait être plus peuplée, j’ai tout de même pris un vrai plaisir à la visiter. Il faut savoir que je joue avec un casque, et que j’aime vraiment les ambiances sonores bien travaillées. J’ai adoré visiter la ville à pied et donc écouter les conversations des gens, croiser ici un musicien de rue, là un rappeur improvisé, ou encore d’entendre un camion de pompier passer sirènes hurlantes en klaxonnant. Chicago est classique, mais Chicago est vivante. De plus, son classicisme ne l’empêche pas de nous offrir de beaux panoramas (le centre-ville ou le parc au coucher du soleil, ou de nuit) et une bonne ambiance.
Le hacking, un élément bien ficelé et assez grisant dans Watch Dogs
Le gros point fort de Watch Dogs réside dans son gameplay.
Le hacking principalement. On l’active très simplement, et il est intuitif et grisant, surtout quand on tente de s’infiltrer et qu’on finit par fuir un endroit en faisant tout sauter derrière soi. La progression sous forme de « points de compétence » à allouer aux combats, au hacking ou à la conduite, est assez classique mais demeure efficace dans son exécution. Traverser la ville en changeant les feux, en bloquant des rues et en faisant lever les ponts devient naturel et même particulièrement amusant. Mon petit préféré reste le black-out complet qui, en pleine nuit, va plonger tout le quartier dans le noir et vous permettre de fuir au milieu de policiers déroutés. Le hacking, bien qu’on pourrait le considérer comme simpliste, apporte réellement une petite touche de fraîcheur bienvenue au genre. Pari réussi? Non, malheureusement. Plusieurs écueils demeurent et viennent tempérer mon enthousiasme et mon plaisir de jeu (pourtant bien réel).
Des quêtes annexes intéressantes mais parfois incohérentes par rapport à la trame principale
Prenons d’abord les missions annexes, un point fondamental dans un open world. Il y a d’un côté les missions du Vigilante qui, digne d’un PreCog de Minority Report, pourra analyser les données des différentes bases de données et prévoir à l’avance certains crimes. Vous pourrez donc empêcher certains de ces crimes en tuant (ce n’est pas bien) ou en blessant l’agresseur (c’est mieux). Vous gagnerez (ou perdrez) ainsi de bien inutiles points de réputation. Ces missions sont plutôt plaisantes à jouer et on l’avantage de bien correspondre au profil du héros, Aiden le Vengeur.
Ça devient moins cohérent avec d’autres quêtes annexes comme celles qui vous permettent de voler la moitié des habitants de la ville, de menacer les commerçants ou d’espionner la vie privée des gens sans trop de honte. Cela n’enlève rien au plaisir de hacker le téléphone de quelqu’un dans la rue ou de voir un type en train de se préparer une main humaine pour dîner, mais la crédibilité du héros en prend un coup. Aiden devient pour le coup un beau salopard, bien loin du Vigilante. Au final, c’est l’immersion qui en souffre. De bonnes missions annexes, donc, même si on aurait aimé en avoir un peu plus (mais là je chipote), mais parfois assez incohérentes avec le personnage qu’on incarne.
La conduite, l’élément le plus raté du jeu
Et puis il faut parler du pire point du jeu : la conduite. Elle est simplement irrécupérable. Vraiment.
J’avoue, je l’ai senti venir avec les quelques vidéos de gameplay qu’on avait pu voir. Le ressenti manette en main est vraiment raté. D’abord, les voitures sont lourdes, au point de devenir totalement incontrôlables dès qu’on accélère trop. Ce devrait encore être acceptable, après tout, on a connu ça avec GTA IV. Mais le pire, c’est le ressenti des collisions avec les autres véhicules : Il n’y en a pas. En heurtant l’arrière d’une autre voiture à pleine vitesse, j’ai à peine senti l’impact, et ma voiture n’a pas ralenti. Ce n’est pas normal, surtout après avoir joué à GTA V qui avait réussi le pari de mettre en place une conduite arcade mais sympathique. Et là je ne vous parle pas des déformations minimalistes des voitures après impact, ou du fait qu’elles sont probablement toutes blindées à Chicago tellement elles peuvent encaisser de dégâts. La palme revient néanmoins aux motos, surréalistes. Quand on rentre dans une voiture à pleine vitesse et que ni la moto, ni Aiden ne bronchent, j’avoue que la crise de rire n’est pas loin… J’espère que The Crew sera plus réussi, parce que là, c’est mal parti !
Un multijoueur original… mais qui souffre d’un service en ligne léger
Le multijoueur de Watch Dogs aurait pu être un des gros atouts du jeu. Original dans son principe, il s’implique en plus particulièrement bien dans le solo et l’ambiance du jeu. Vous pourrez ainsi vous faire hacker par un autre joueur en pleine partie solo (entre deux missions, bien sûr). S’engage alors un jeu du chat et de la souris où vous devrez démasquer le hacker grâce aux divers systèmes de surveillance du jeu, et l’empêcher de nuire. Partant de bonnes intentions, le mode a pourtant du mal à se renouveler et souffre en plus des défaillances techniques régulières des serveurs d’Ubisoft (si vous aimiez les défis online de Rayman Legends, vous savez de quoi je parle). Il est d’ailleurs dommage de noter qu’Ubisoft n’arrive toujours pas à se doter de serveurs stables, ce qui a cruellement tendance à décourager le joueur le plus motivé. Dommage, mais je pense qu’il ne faut pas abandonner cet habile équilibre entre solo et multi.
Une mise en scène qui souffre d’une mauvaise écriture
Finissons maintenant par ma grosse déception concernant le jeu, bien au-delà des graphismes ou des missions annexes pas toujours parfaites : le scénario. Malheureusement, ça commence à devenir récurrent dans les derniers gros jeux d’Ubisoft. Je me souvenais avoir été déçu du scénario d’Assassin’s Creed 3, mais aussi du quatrième opus. L’écriture était au mieux archi-classique et prévisible, au pire carrément mauvaise. Dans Watch Dogs, on est dans le très classique, ce qui m’a profondément déçu tant l’univers, et les questions qu’il soulève étaient passionnants.
Prenons d’abord Aiden et le pitch de base. Hacker et voleur, Aiden et son mentor foirent un job et agacent la mauvaise personne. La dite personne décide de les effrayer durablement, ce qui aboutit à la mort de la nièce du héros. Aiden décide alors de se venger et de pourchasser les coupables. Dans le genre scénario de film de Luc Besson, c’est pas mal. Mais même à partir d’un postulat aussi faiblard (et assez mal mis en scène, il faut l’avouer), on aurait pu avoir un héros torturé, ambivalent et charismatique. Et bien non, Aiden va se contenter de rester « le type avec la voix rauque » sans jamais vraiment évoluer de tout le jeu. Le manteau dans le vent, la voix de Batman et la casquette ne font pas tout!
En plus, on a bien sûr droit aux personnages secondaires caricaturaux comme la hackeuse pleine de piercings et de tatouages, le petit vieux parrain de la pègre qui est aussi un tueur froid ou le chef de gang noir et violent. Attention, ces personnages ne sont pas mauvais en soi, on les a juste déjà vus trop souvent dans d’autres jeux/films/séries.
Ajoutez à cela des incohérences de scénario qui nuisent encore plus à l’immersion comme on a pu le voir précédemment. Le fait qu’Aiden massacre environ 3 000 personnes dans le jeu pour venger sa nièce et sauver sa sœur (qui n’est visiblement pas si choquée que ça de la mort de sa fille il y a à peine un an…) n’a apparemment pas semblé anormal aux scénaristes.
Pour finir, on pourra également parler des thèmes pourtant passionnants et définitivement d’actualité comme le tout connecté, la surveillance, ou la fin de la vie privée, qui sont abordés un peu par-dessus la jambe. Le fait même qu’Aiden devienne lui-même un voyeur qui assiste à des moments intimes de la vie des habitants de Chicago à de nombreuses reprises vient mettre à mal tout le postulat du scénario selon lequel « c’est mal ». Ce gâchis est probablement le pire défaut du jeu. Espérons qu’Ubisoft laissera plus de temps aux scénaristes pour peaufiner leur histoire et leur sujet à l’avenir
Conclusion
Un long test pour vous dire que je ne sais pas encore trop sur quel pied danser avec Watch Dogs. Après la réelle déception de voir des graphismes pas forcément immondes mais clairement en deçà de ce qui était promis, le jeu s’avère plaisant à jouer. Le hacking est simple, intuitif et surtout procure souvent une vraie sensation de pouvoir sur la ville. Seulement, à côté de ça, on se heurte à pleins de petits défauts comme un scénario sous-exploité, voire parfois incohérent, et un gameplay qui sait aussi être frustrant (au volant). Watch Dogs n’est pas excellent, et n’est certainement pas la tuerie que certains attendaient. Il n’en est pas mauvais pour autant. Je considère même que c’est un premier véritable open world contemporain réussi pour Ubisoft. Le potentiel est clairement là, et j’attends sincèrement un deuxième épisode pour voir si le studio montréalais saura transformer l’essai en renforçant les bonnes bases et en corrigeant certains défauts de sa nouvelle licence.
Il y a déjà une chose dont on est certain. Avec 4 millions d’unités écoulées en une semaine et un record des ventes pour Ubisoft, il y aura sans nul doute un Watch Dogs 2.